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Assurance RC de la banque

Attention à la formulation des risques assurés

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral valide le refus d’une société d’assurance de couvrir un dommage de plus de 35 millions de dollars subi par une banque suisse contrainte d’indemniser des investisseurs malheureux au terme d’une procédure judiciaire engagée à Dubaï (arrêt 4A_440/2022 du 16 novembre 2023).

Une banque, établie en Suisse, dispose d’une filiale à Dubaï, la société E. Cette dernière est soumise à la surveillance de la Dubai Financial Services Authority (DFSA) et autorisée dans ce cadre à fournir certains services financiers, notamment de conseil en investissement. Cependant, l’activité de la filiale consiste en réalité à commercialiser les produits et services financiers offerts par la banque au Moyen-Orient. La banque n’est quant à elle pas autorisée par la DFSA.

À une période indéterminée, la banque effectue des investissements dans des produits structurés pour le compte d’une famille fortunée à hauteur de 190 millions de dollars. Dans ce contexte, deux employés de la filiale dubaïote agissent en tant qu’intermédiaires entre la banque et la famille.

En raison de la crise financière de 2008, les investissements en question (en partie financés par des crédits) entraînent d’importantes pertes. Après plusieurs appels de marge infructueux, la banque liquide les placements.

La banque et sa filiale sont alors assignées par les investisseurs malheureux devant les tribunaux de Dubaï, lesquels font bien peu de cas de la clause d’élection de for en faveur des tribunaux suisses et de celle prévoyant l’application du droit suisse aux contrats liant les parties.

La banque informe alors sa société d’assurance, auprès de laquelle elle a souscrit une assurance responsabilité civile professionnelle, de la procédure. Celle-ci confirme provisoirement la couverture et verse cinq millions de francs à la banque au titre d’avance pour ses frais d’avocat.

Au terme de la procédure, le tribunal de Dubaï considère que la banque a traité les deux collaborateurs de sa filiale ayant joué les entremetteurs comme ses propres employés, de sorte que ceux-ci devaient être qualifiés d’« employés de fait » de la banque. Sur cette base, le tribunal reproche à la banque d’avoir fourni des services financiers à Dubaï sans y être autorisée par la DFSA.

En vertu du droit de Dubaï, les contrats conclus en violation de l’exigence d’autorisation ne peuvent pas être invoqués par la partie contrevenante, si bien que l’investisseur peut demander la restitution des montants investis de même qu’une indemnisation pour les pertes subies.

Par conséquent, le tribunal de Dubaï condamne la banque et sa filiale à verser plus de 35 millions de dollars à la famille.

Forte de la confirmation provisoire reçue en début de procédure, la banque s’attend à être indemnisée par son assurance, mais cette dernière refuse finalement la couverture. La banque dépose alors une demande en paiement à hauteur de dix millions de francs devant le Handelsgericht de Zurich. La société d’assurance réclame reconventionnellement la restitution de l’avance de cinq millions de francs.

Par jugement du 24 août 2022, le Handelsgericht rejette la demande de la banque et admet la demande reconventionnelle de l’assurance, considérant en substance que diverses conditions de couverture ne sont pas réalisées.

Les griefs invoqués par la banque dans son recours au Tribunal fédéral sont multiples. N’est abordé dans le présent commentaire que celui ayant mené au rejet du recours, en lien avec l’étendue de la couverture.

Celle-ci est décrite de la manière suivante en clause 3.1 de la police (traduction libre) :

« L’assurance couvre la responsabilité civile de la banque assurée et de ses employés pour des dommages purement économiques fondés sur les dispositions légales suisses en matière de responsabilité civile ou sur des dispositions nationales applicables comparables et juridiquement valables, dans la mesure où la personne lésée fait valoir par écrit une prétention en responsabilité civile à l’encontre de la banque assurée ou d’un de ses employés pendant la durée du contrat (…) ».

Après un bref rappel des principes applicables à l’interprétation d’une clause préformulée contenue dans une police d’assurance, le Tribunal fédéral procède à l’interprétation de la clause susmentionnée.

S’il admet, contrairement au Handelsgericht, que cette clause puisse en principe couvrir des réclamations découlant de services bancaires fournis en l’absence de l’autorisation nécessaire ou encore des cas de responsabilité sans faute (causale), le Tribunal fédéral se montre néanmoins strict s’agissant de l’étendue de la couverture offerte par la police et considère que l’exigence contractuelle de « comparabilité » des dispositions légales revêt en l’espèce une importance décisive.

D’après notre Haute Cour, cette condition supplémentaire a été introduite par l’assureur afin de lui permettre d’évaluer la probabilité de survenance d’un sinistre en fonction du droit suisse uniquement, sans avoir à tenir compte d’autres systèmes juridiques, en particulier de ceux qui connaissent les punitive damages ou des institutions similaires.

Or, le Tribunal fédéral constate qu’il n’est en l’espèce pas reproché à la banque d’avoir violé ses obligations contractuelles, mais uniquement d’avoir fourni des services financiers sans autorisation. Il s’ensuit que le paiement auquel la banque a été condamnée n’a pas pour but de compenser un préjudice, mais de dissuader les contrevenants à l’obligation d’obtenir une autorisation, dans la mesure où le client a droit à une indemnisation sur le seul fondement de l’absence d’autorisation.

Le Tribunal fédéral en conclut que le fondement de responsabilité ayant permis de condamner la banque selon le droit de Dubaï a un caractère punitif et n’est donc pas comparable aux dispositions suisses en matière de responsabilité civile, de sorte que la couverture est exclue.

Cet arrêt, relativement sévère pour la banque, met en lumière l’importance primordiale d’une couverture d’assurance adéquate, particulièrement pour les établissements qui fournissent des services financiers dans des pays du globe dont le système juridique diffère significativement du droit suisse et qui connaissent par hypothèse des fondements de responsabilité différents. Ainsi que la banque l’a appris à ses dépens, une clause d’élection en faveur du droit et des tribunaux suisses ne constitue pas nécessairement une protection suffisante.

Par ailleurs, cet objectif se trouve naturellement en tension avec la réticence des assureurs suisses à offrir une couverture pour des régimes de responsabilité, inconnus du droit suisse, qui permettraient d’aller au-delà de la réparation du préjudice effectif.