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Séquestre de la banque contre ses clients

Exigences (élevées) relatives à la vraisemblance de la créance

La banque qui souhaite obtenir un séquestre à l’encontre de ses clients afin de recouvrer un découvert résultant d’un appel de marge infructueux et d’une liquidation de positions doit rendre sa créance vraisemblable au moyen d’explications et de pièces détaillées. À défaut, le juge doit refuser – ou révoquer – le séquestre (arrêt du Tribunal fédéral 5A_515/2023 du 23 février 2024).

Le litige ayant donné lieu à cet arrêt trouve sa source dans un crédit lombard accordé par une banque zurichoise à deux époux domiciliés aux Émirats arabes unis afin de permettre à ces derniers de procéder à des placements financiers. Ce crédit est garanti par des placements déposés par les époux auprès de la banque.

En raison d’une perte de valeur des placements en question ayant conduit à une couverture insuffisante des crédits, et après un appel de marge infructueux, la banque liquide les placements. Le produit de liquidation est toutefois insuffisant pour rembourser le crédit, de sorte qu’un découvert de près de CHF 5 millions subsiste.

La banque requiert alors – et obtient – le séquestre des avoirs des époux détenus auprès d’un autre établissement bancaire de la place. Sur opposition, l’ordonnance de séquestre est toutefois révoquée, faute pour la banque d’avoir rendu sa créance suffisamment vraisemblable. Cette décision est confirmée sur recours par l’Obergericht zurichois.

Dans son recours au Tribunal fédéral, la banque – en sus d’un grief de nature procédurale relatif à la recevabilité de ses déterminations qui n’est pas abordé dans le présent commentaire – se plaint des exigences excessivement élevées des juridictions zurichoises quant à la vraisemblance de la créance.

Après un rappel des principes applicables en matière de vraisemblance, de fardeau de l’allégation et de fardeau de la preuve, le Tribunal fédéral passe à l’analyse du cas d’espèce (sous l’angle de l’arbitraire ; cf. art. 98 LTF).

Se fondant sur l’arrêt de l’Obergericht, le Tribunal fédéral constate que la créance alléguée par la banque résulte de différents postes : (1) le crédit accordé aux époux, (2) le découvert résultant de la perte de valeur des placements fournis en garantie et (3) le produit de liquidation des placements et autres avoirs des époux déposés auprès de la banque.

Notre Haute Cour expose ensuite le raisonnement de l’Obergericht, que l’on peut résumer très simplement de la manière suivante : le créancier ne peut se contenter d’alléguer le montant total de sa créance, mais doit au contraire présenter et établir le calcul des différents postes de manière suffisamment étayée, afin de permettre une contestation détaillée.

En prenant l’un après l’autre les différents postes, le Tribunal fédéral émet les commentaires suivants :

  1. En lien avec le crédit  : dans la mesure où il ne s’agit pas d’un crédit unique retiré en une seule fois, mais d’un solde de différents montants de crédit utilisés à différents moments et en lien avec différentes transactions financières (dans le cadre de la limite autorisée), il n’est pas arbitraire d’exiger de la banque créancière plus de détails que le montant total du solde. La banque doit ainsi exposer comment ce montant a été obtenu en établissant la façon dont le crédit a été utilisé et a évolué au fil du temps.
  2. En lien avec la perte de valeur des placements et le découvert en résultant  : il n’est pas arbitraire d’exiger de la banque davantage que la simple allégation d’une valeur de nantissement totale. La banque créancière doit au contraire décomposer les différentes positions déposées en garantie, à tout le moins par catégorie de placement. Ce n’est que de cette manière que la banque pourra établir une valeur de nantissement « crédible » lui permettant de justifier (i) le découvert, (ii) l’appel de marge en résultant et (iii) la liquidation faisant suite au non-respect de l’appel de marge.
  3. En lien avec le produit de liquidation  : là encore, il n’est pas arbitraire d’exiger que la banque expose de manière détaillée comment elle est parvenue au montant de sa créance. Elle doit ainsi exposer (i) toutes les positions liquidées (soit – en l’espèce – aussi bien les produits dérivés OTC que les actions et obligations), (ii) le résultat de la liquidation et (iii) la compensation de ce résultat avec le découvert pour arriver au montant de la créance invoquée. Ce faisant, la banque ne peut se limiter à renvoyer à un relevé de compte faisant apparaître une « multitude de transactions », dans la mesure où il n’appartient ni au juge ni au débiteur de rassembler eux-mêmes les différentes informations figurant sur un tel document afin de reconstituer le montant total. Les pièces produites doivent permettre de vérifier le calcul de compensation effectué par la banque.

Le Tribunal fédéral estime que la banque créancière n’a pas satisfait à ces exigences. Cette dernière n’a ainsi pas suffisamment étayé la composition et l’évolution des crédits invoqués, la valeur de nantissement des positions fournies en garantie et le calcul permettant de parvenir au montant de la créance. Les pièces produites, dont certaines réservées à l’usage interne de la banque, ne permettent pas de reconstituer précisément les différentes étapes ayant mené à la créance invoquée et de vérifier le calcul de compensation effectué pour parvenir au résultat final. En conséquence, c’est à bon droit que l’Obergericht a confirmé la révocation du séquestre.

Deux remarques en guise de conclusion :

  1. Le Tribunal fédéral examine la décision de l’Obergericht zurichois sous l’angle de l’arbitraire uniquement. S’il estime en l’espèce que le raisonnement de cette juridiction ne souffre pas d’arbitraire, il n’en demeure pas moins que certaines disparités cantonales subsistent en matière de séquestre, de sorte que les pratiques ne sont pas identiques partout en Suisse.
  2. En revanche, bien que la vraisemblance implique une réduction du degré de preuve, le créancier séquestrant n’est pas pour autant dispensé du fardeau de l’allégation et de la preuve. L’obligation de décomposer l’état de fait en faits individuels de manière suffisamment complète et claire pour qu’il soit possible d’en administrer la preuve et d’y opposer la contre-preuve demeure. En matière bancaire, cette obligation impose à l’avocat d’exposer de manière détaillée les différentes transactions impliquées, souvent complexes, et de produire directement toute la documentation permettant de reconstituer le calcul des montants allégués.