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Contrat e-forex

La banque doit prouver les pertes du client

Lorsque la banque liquide les positions du client et qu’il en résulte un solde négatif, il appartient à la banque de prouver ces pertes. À défaut, la banque ne prouve pas l’existence de sa créance à l’encontre du client (arrêt 4A_301/2023 du 16 juillet 2024).

En 2011, un client utilise la plateforme informatique d’une banque vaudoise afin de spéculer sur la variation du cours USD/CHF. Le 15 janvier 2015, la BNS annonce qu’elle abandonne le taux plancher CHF/EUR. Cela provoque un vent de panique et rend le marché CHF/USD temporairement illiquide. Conformément aux conditions générales, la banque liquide les positions du client et l’informe, quelques jours plus tard, que son compte est d’une valeur négative de USD 929’075.

La banque ouvre action en paiement contre le client auprès de la Chambre patrimoniale du canton de Vaud. Dans ses allégués n°83 à 86, la banque indique que la liquidation automatique des positions du client s’est soldée par une perte de USD 1’125’991,40 et, qu’après déduction des avoirs en compte du client de USD 193’325,62, le débit du compte était de USD 929’075.

Dans sa réponse, le client conteste ces quatre allégués et dépose une demande reconventionnelle afin que le montant de USD 193’325,62 sur son compte précédant la liquidation lui soit restitué.

La Chambre patrimoniale admet la demande de la banque et rejette celle du client. Sur appel, le Tribunal cantonal parvient à la solution inverse. En effet, il appartenait à la banque de prouver les pertes. Or, certaines des preuves produites par la banque à l’appui de sa créance sont incompréhensibles et incohérentes. En outre, la force probante de ces pièces est moindre, puisqu’elles ont été confectionnées par la banque. Partant, la banque n’a pas prouvé les pertes alléguées et doit rembourser au client le solde de son compte avant l’annonce de la suppression du taux plancher (PT16.021199-201668).

Dans son recours auprès du Tribunal fédéral, la banque invoque deux griefs. Premièrement, le client n’aurait pas contesté le montant global du solde négatif de son compte. Deuxièmement, le Tribunal cantonal aurait apprécié arbitrairement les pièces produites.

Sur le premier point, le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence relative à la charge de l’allégation et à la charge de la motivation de la contestation. En résumé, il appartient au demandeur d’alléguer les faits pertinents et, uniquement de manière exceptionnelle, au défendeur de concrétiser sa contestation (cf. ég. Hirsch, cdbf.ch/1112). En l’espèce, le client a simplement indiqué « Contestés » à un ensemble de neuf allégués, dont les quatre relatifs aux montants des pertes. Aux yeux du Tribunal fédéral, cette contestation est expresse et démontre clairement que le client a contesté devoir ces montants. Il n’avait pas à motiver sa contestation, d’autant plus que la banque n’avait pas détaillé les nombreuses positions liquidées.

Sur le second grief, le Tribunal fédéral souligne que la banque n’a même pas tenté de fournir des explications quant aux pièces produites, qualifiées d’incompréhensibles par le Tribunal cantonal. Dès lors que la banque n’a pas fourni de manière compréhensible le détail de chaque opération de liquidation, le Tribunal fédéral confirme l’appréciation cantonale selon laquelle seule une expertise pouvait prouver les pertes alléguées.

La banque n’a donc pas réussi à prouver la créance invoquée contre le client. Par conséquent, elle ne pouvait pas se payer par prélèvement sur le compte bancaire du client. Ce dernier dispose ainsi de la créance invoquée en restitution de ses actifs.

Cette affaire n’est pas isolée. D’autres cas liés à la fin du taux plancher CHF/EUR ont occupé nos tribunaux, mais dans ceux-ci la question de la preuve de la créance de la banque n’avait pas été thématisée (cf. not. Hirsch, cdbf.ch/1208 et Ollivier, cdbf.ch/1242). À notre connaissance, il s’agit de la seule affaire qui se termine avec une victoire du client contre la banque.

Cet arrêt souligne l’importance d’alléguer précisément le dommage, même lorsqu’il est invoqué par la banque, et de produire des pièces précises qui sont compréhensibles pour les tribunaux. En outre, le système informatique de la banque devrait être configuré de manière à pouvoir détailler chaque opération de liquidation. À défaut, la banque devra faire réaliser une expertise afin de pouvoir prouver sa créance.

En outre, cet arrêt est rassurant pour la partie qui conteste sans motivation les faits allégués par la partie adverse. En effet, dans l’arrêt 4A_126/2019, qui concernait également un litige bancaire, le Tribunal fédéral avait considéré que la banque aurait dû motiver la contestation du dommage invoquée par le client ; à défaut d’une contestation motivée, le Tribunal fédéral avait considéré que le dommage était admis par la banque (pour une critique de cet arrêt, cf. Hirsch, cdbf.ch/1112 et Hirsch Célian/Geissbühler Grégoire. La charge de la contestation en procédure civile – précise ou motivée ?, Revue de l’avocat, 2020, p. 268‑271). Dans l’arrêt résumé ci-dessus, le Tribunal fédéral rappelle sa théorie selon laquelle une contestation en bloc (pauschale Bestreitung) ne suffit pas. Cela étant, il semble heureusement la relativiser en pratique puisqu’il considère que le « Contestés » du client, pourtant relatif à neuf allégués, est clair et « ne nécessite aucune autre interprétation ». Le client n’avait donc pas à motiver sa contestation.

Enfin, dès le 1er janvier 2025, les expertises privées seront considérées comme des titres au sens de l’art. 177 nCPC. Partant, elles constitueront des moyens de preuve, que le tribunal pourra apprécier librement (cf. art. 157 CPC). Cette modification pourrait s’avérer particulièrement utile pour la partie à qui incombe la charge de la preuve.