Aller au contenu principal

Rétrocessions

Renonciation valable selon le volume investi sur une base annuelle ?

La Cour de Justice de Genève dans son arrêt ACJC/1653/2024 du 19 décembre 2024 juge valable, dans le cadre d’un mandat de gestion, une clause de renonciation aux rétrocessions indiquant des fourchettes de pourcentages du « volume investi sur une base annuelle » par catégorie de produits.

La Cour de Justice débute son raisonnement par rappeler le principe selon lequel le mandataire ne doit être ni appauvri, ni enrichi par le mandat hors ses honoraires convenus. Se référant à l’arrêt 4A_266/2010 (commenté in Fischer, cdbf.ch/773), elle souligne que le mandant doit être pleinement informé des paramètres permettant de calculer le montant global des rétrocessions. Cela inclut les valeurs déterminantes des conventions de rétrocession avec des tiers et l’ordre de grandeur des restitutions attendues. Le mandant doit pouvoir comparer les rétrocessions escomptées avec les honoraires convenus pour la gestion de fortune. Cette exigence permet de comprendre l’ensemble des coûts et les conflits d’intérêts potentiels pour le gérant. En cas de renonciation anticipée, les rétrocessions escomptées doivent être indiquées dans une fourchette déterminée, en pourcentage de la fortune gérée. Cette règle facilite la compréhension de l’ampleur des rétrocessions par rapport aux honoraires de gestion et donc de l’ensemble des coûts de la gestion.

Dans le cas d’espèce, en janvier 2011, la banque a adressé à ses clients de nouvelles conditions générales, accompagnées d’un courrier et de deux feuilles d’information. Ces documents attiraient l’attention sur les modifications, notamment la clause no 14 et les fourchettes des rétrocessions potentiellement perçues.

Les fourchettes étaient exprimées en pourcentage de la « fortune investie » (sic) et non de la fortune gérée. Selon la Cour, la jurisprudence n’exige pas que les rétrocessions soient calculées sur la fortune gérée, mais plutôt que l’information soit pertinente et transparente pour permettre aux clients de connaître l’ordre de grandeur des rétrocessions. Des fourchettes en fonction de la fortune investie sont même plus pertinentes en cas de mandat de gestion car les rétrocessions sont prélevées sur la fortune investie.

La Cour estime que les fourchettes de pourcentages étaient ventilées par catégorie de produits, conformément aux exigences du Tribunal fédéral (4A_496/2023 commenté in Fischer, cdbf.ch/1338). Les clients, en particulier ceux expérimentés, pouvaient ainsi calculer l’ordre de grandeur des rétrocessions en croisant ces informations avec la composition de leur portefeuille visible sur leurs relevés bancaires de fin d’année.

Par conséquent, la Cour de Justice juge la clause de renonciation valable et rejette l’action du client.

A notre avis, la Cour de Justice a erré dans son jugement pour les raisons suivantes :

  • Elle amalgame deux notions qui ne sont pas identiques à savoir le « volume investi » et la « fortune investie ». La notion de volume investi sur une base annuelle est distincte de celle de fortune investie en moyenne durant une année. La fréquence des transactions sur un compte durant une année peut entraîner un volume investi plus élevé que la fortune investie indiquée sur un relevé de fortune en fin d’année. Le volume investi représente les achats et ventes d’actifs au cours de l’année et peut être un multiple des actifs investis à une date donnée. A titre illustratif, un portefeuille d’un million génère un volume d’investissement de cinq millions si le taux de rotation (turnover) est de cinq. La clause du cas d’espèce ne se référait pas à la fortune investie mais au volume investi. Faute de connaître le taux de rotation, les clients ne pouvaient pas calculer le montant escompté des rétrocessions.
  • Le Tribunal fédéral a déjà jugé qu’une clause se référant au « volume investi » dans le cas d’un mandat de gestion est invalide considérant qu’il s’agit d’« un critère inadéquat, qui ne pourrait être connu qu’au fur et à mesure des investissements ponctuels décidés par la société de gestion » (4A_355/2019, commenté in Fischer, cdbf.ch/1145). Le volume investi sur une base annuelle ne peut être connu que si le chiffre du turnover est communiqué au client.
  • L’arrêt 4A_496/2023 cité par la Cour concernait un cas hors gestion de fortune, où les conditions de renonciation sont plus souples en execution only et conseil sur transactions isolées (4A_574/2023, 4A_576/2023, commenté in Ollivier, cdbf.ch/1358/).

Dans ce domaine technique, il est également essentiel de prendre du recul. L’objectif de la jurisprudence du Tribunal fédéral est de garantir que le client puisse consentir en connaissance de cause aux honoraires des services bancaires en incluant les rétrocessions escomptées. En matière de gestion, le Tribunal fédéral estime que le client doit être en mesure d’appréhender l’ensemble des coûts liés à la gestion de fortune dès le début de la relation, afin de pouvoir les approuver (4A_355/2019 ; ATF 137 III 393). A notre avis, en déléguant la gestion à un professionnel, le client ne saurait être tenu de contrôler en permanence la gestion de son portefeuille ni d’y consacrer des efforts disproportionnés. L’exigence de présenter les rétrocessions escomptées en pourcentage de la fortune gérée (avoirs sous gestion) permet au client d’effectuer un calcul simple : il lui suffit d’additionner ce pourcentage à celui des honoraires de gestion, également exprimés par rapport à la fortune gérée dans la documentation contractuelle signée au début de la relation. À l’inverse, exiger du client qu’il recalcule en permanence les rétrocessions au fil de la relation, alors même qu’il a délégué la gestion et qu’il s’acquitte d’honoraires de gestion, est injustifiable.

Dans le cadre d’un conseil global, où le conseiller perçoit ses honoraires sur les avoirs déposés, le même principe devrait s’appliquer pour obtenir une renonciation valable. Autrement dit, les rétrocessions escomptées devraient, à notre avis, être exprimées en proportion des avoirs déposés.

En revanche, pour un conseil ponctuel sur des transactions isolées, une approche différente peut être envisagée : les paramètres de calcul des rétrocessions pourraient suffire, car il est raisonnable d’attendre du client qu’il évalue leur montant à chaque transaction qu’il choisit d’effectuer.