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Avoirs bancaires ukrainiens

Blocage LVP maintenu

Par trois arrêts 1C_435/2024, 1C_604/2024 (destinés à la publication) et 1C_610/2024 du 19 mai 2025, le Tribunal fédéral décide du maintien du blocage d’avoirs bancaires ordonné par le Conseil fédéral en 2022 et 2023 dont les ayants droits économiques sont des personnes appartenant à l’entourage politique de l’ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch.

Les avoirs avaient initialement été saisis à la suite d’une demande d’entraide internationale en matière pénale adressée à la Suisse par l’Ukraine (voir TPF, RR.2017.118-121, RR.2017.122, 6 février 2018). Puis il avait été constaté que l’Ukraine ne sera pas à même de présenter une demande visant à la restitution des avoirs : la procédure pénale ukrainienne avait dû être classée, à défaut de preuves. Il en a été de même de la procédure pénale suisse, conduite en parallèle, du chef de blanchiment d’argent. Le Conseil fédéral avait alors ordonné le blocage des avoirs en application de l’art. 4 de la loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger (LVP ; RS 196.1).

Tout d’abord, le TF rappelle les deux formes de blocage prévues par la LVP, à savoir celui visant à soutenir une éventuelle et future entraide judiciaire internationale (art. 3 LVP) et celui, pertinent en l’espèce, qui peut être prononcé en vue de la confiscation en cas d’échec de l’entraide judiciaire (art. 4 LVP). Ensuite, la question de la provenance illicite des avoirs soulevée par les recourants est rapidement écartée : elle doit demeurer ouverte à ce stade puisqu’il ne s’agit pas d’une condition posée par l’art. 4 LVP. Elle devra en revanche être analysée dans le cadre de la procédure ultérieure de confiscation, régie par les art. 14 ss LVP (c. 4). La première condition posée à l’art. 4 al. 2 let. a LVP, soit l’existence d’une saisie prononcée dans la procédure d’entraide, n’est pas contestée. Puis le TF se penche sur deux autres conditions qui doivent être remplies pour que le blocage soit maintenu, à savoir que (1) l’État ukrainien peut être qualifié de défaillant (art. 4 al. 2 let. b LVP) et (2) la sauvegarde des intérêts de la Suisse exige le (maintien du) blocage (art. 4 al. 2 let. c LVP).

S’agissant de la première condition, le TF rappelle que l’état de défaillance se réfère exclusivement à la situation d’un État dans le cadre d’une procédure d’entraide judiciaire concrète et qu’il ne s’agit pas d’une évaluation politico-économique générale (TF, 1C_610/2024, c. 5.1). Bien que l’entraide judiciaire avec l’Ukraine puisse encore fonctionner en général, tel n’est pas le cas s’agissant de procédures comme celle en cause, présentant un lien étroit avec les territoires occupés par les troupes russes (entreprise dont les fonds auraient été détournés, banque par laquelle les fonds ont transité, documents pertinents, tous localisés dans la région de Louhansk). Partant, « les autorités ukrainiennes ne sont actuellement pas en mesure de mener une procédure de confiscation à l’égard des fonds potentiellement détournés, et de rendre un jugement exécutoire à ce sujet. Cette situation tient à une défaillance de l’appareil judiciaire liée, d’une part, aux problèmes généraux que rencontre l’Ukraine dans la lutte contre la corruption et, d’autre part, aux [difficultés] concrètes liées à la situation de guerre » (TF, 1C_610/2024, c. 5.2).

Concernant la deuxième condition, le TF rappelle la nécessaire retenue dont doivent faire preuve les tribunaux qui revoient la décision politique rendue par le Conseil fédéral. Selon le TF, il est indubitablement dans l’intérêt de la Suisse de bloquer les fonds d’origine douteuse afin de les soumettre à un examen de leur provenance dans le cadre de la procédure de confiscation, le but étant de préserver des relations bilatérales avec les États concernés, de défendre la réputation suisse « d’État déterminé à lutter contre l’impunité et l’enrichissement personnel illicite et de protéger l’intégrité de place financière suisse » (TF, 1C_610/2024, c. 6).

S’agissant de cette deuxième condition, il y lieu de signaler que le TAF avait également retenu qu’« en organisant l’Ukraine Recovery Conference les 4 et 5 juillet 2022 à Lugano, ainsi que la conférence sur la paix en Ukraine les 15 et 16 juin 2024, le Conseil fédéral a décidé de jouer un rôle important dans la reconstruction de l’Ukraine, également dans le contexte international, de sorte que les blocages des valeurs patrimoniales sont, sous cet angle également, dans l’intérêt public de la Suisse, raison pour laquelle la condition de l’art. 4 al. 2 let. c LVP doit, au cas d’espèce, également être considérée comme remplie » (TAF, B-102/2023, B-103/2023, B-104/2023, B-105/2023, 16 septembre 2024, c. 7.4.4 in fine). Cet argument, lié à la perspective de reconstruction de l’Ukraine, sera sans doute pertinent au moment de déterminer à quelles fins devront être alloués les montants le cas échéant confisqués. Cependant, au stade antérieur de la décision sur le maintien ou non du blocage, il laisse perplexe. Il n’a pas été repris par le TF.