Le principe de l'ancrage disparaît subrepticement de l'ordre juridique suisse

Jacques Iffland
Le principe dit « de l’ancrage » (« Verankerungsprinzip« ) a vécu. Il a disparu – en toute discrétion – de l’ordre juridique suisse avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale sur la banque nationale suisse (« LBN »), le 1er mai 2004.
Jusqu’à la fin du mois d’avril de cette année, le principe de l’ancrage voulait que le chef de file de toute émission de titres de dette standardisés en francs suisses ou liés au franc suisse et ayant une maturité supérieure à un an dispose d’une licence de banque ou de négociant de la Commission fédérale des banques. Ce « principe » s’appliquait également aux tranches libellées en francs suisses ou liées au franc suisse des programmes d’émission internationaux. La réglementation précisait que les tâches de direction de l’émission (comme par exemple la syndication, l’attribution des quotes-parts et la tenue des comptes pour le syndicat) devaient être accomplies en Suisse. Une association de façade d’un chef de file étranger avec un institut suisse n’était pas suffisante. Le principe de l’ancrage donnait donc aux banques et négociants suisses une position concurrentielle avantageuse sur le marché des émissions en francs suisses.
Malgré sa grande importance pratique, le principe de l’ancrage reposait sur des bases légales relativement fragiles. La réglementation pertinente se trouvait dans une « note » de la Banque nationale suisse « relative à l’obligation d’annoncer les emprunts en francs suisses ». Cette « note » déclarait se fonder essentiellement sur les art. 7 LB, 15 LBVM et 2 al. 2 OBVM-CFB. Or ces dispositions ne consacraient qu’un devoir d’annonce des émissions en francs suisses, accompagné d’une vague réserve en faveur des « mesures nécessaires afin de pouvoir surveiller l’évolution des opérations financières effectuées en francs suisses ». Nulle référence n’était faite à un monopole des banques et négociants suisses sur le marché des émissions en francs suisses.
La LBN a mis un terme à ce régime. Elle l’a fait en toute discrétion, avec l’abrogation de l’art. 7 LB. Dès le 1er mai 2004, la « note relative à l’obligation d’annoncer les emprunts en francs suisses » avait disparu du site internet de la Banque nationale suisse. La seule référence explicite à cette suppression se trouve dans un document intitulé « commentaire afférent à l’ordonnance de la Banque nationale » (disponible uniquement en allemand). Ce document indique (ch. 2.4) que les informations publiées par les systèmes d’information boursière suisses et étrangers rendent le régime consacré par la « note », et en particulier le principe de l’ancrage, superflu. Seul reliquat de l’ancien régime, l’art. 2 al. 2 OBVM-CFB oblige encore les négociants à annoncer à la BNS « les émissions publiques sur le marché primaire de valeurs mobilières en francs suisses ». On peut s’attendre à ce que cette disposition soit bientôt abrogée.
Désormais, le rattachement réglementaire des émissions en francs suisses avec des banques ou des négociants suisses semble se résumer aux règles imposant la désignation d' »agents de paiement » en Suisse en cas de cotation en bourse (art. 26 du Règlement de cotation du SWX Swiss Exchange). Dans certaines circonstances, certaines règles fiscales américaines (« Tefra rules ») peuvent également rendre le choix d’un « agent de paiement » en Suisse nécessaire. La fonction d’agent de paiement est cependant beaucoup plus limitée que celle de « chef de file », telle que la définissait l’ancienne réglementation de la BNS sur l’ancrage.