Bonne foi du créancier gagiste et CDB
Claude Bretton-Chevallier
Dans un arrêt du 8 avril 2005 (5C.60/2004, publié in SJ 2006 I 153), le Tribunal fédéral a donné une portée nouvelle et originale aux obligations résultant de la CDB. Il a considéré que la banque défenderesse et intimée avait fait preuve de l’attention exigée par les circonstances lui permettant de se prévaloir de sa bonne foi lors de la constitution d’un nantissement en sa faveur – dès lors qu’elle avait respecté la CDB.
Le TF avait à juger d’une action de l’Union de l’Inde en restitution de deux pièces d’or anciennes (17e s). L’action était dirigée contre la succursale genevoise du Crédit Agricole Indosuez, à laquelle ces pièces avaient été remises en nantissement. Ce nantissement constituait une sûreté aux fins de garantir un prêt accordé à deux sociétés de Panama et des îles Vierges Britanniques, contrôlées par le petit-fils du dernier Nizam de l’ancienne principauté indienne d’Hyderabad (l’arrêt ne précise pas qui était désigné comme ayant droit économique de la relation bancaire). L’Union de l’Inde soutenait être devenue propriétaire des pièces d’or en 1950, lors de l’unification du pays.
La Cour de justice genevoise a confirmé le déboutement de la demanderesse. Elle a considéré principalement que l’Union de l’Inde n’avait pas établi son droit de propriété sur les pièces. Subsidiairement elle a jugé que même si ce droit avait été établi, la banque pouvait se prévaloir d’un droit de gage valablement acquis.
Le Tribunal fédéral a examiné deux aspects : l’opposabilité du droit de gage de la banque au regard de l’art. 884 al. 2 CC et l’incidence, sur la validité du contrat de gage, de la nature des biens remis en nantissement (patrimoine culturel indien). Aucune de ces deux questions ne l’a conduit à réformer la décision cantonale.
Seuls les développements relatifs à la première seront discutés ici.
Selon l’art. 884 al. 2 CC, la bonne foi du créancier gagiste supplée à l’absence de pouvoir de disposer de l’auteur du nantissement. Il s’agit de la bonne foi au sens de l’art. 3 CC, qui est présumée (présomption réfragable). Le créancier gagiste ne pourra cependant se prévaloir de sa bonne foi que s’il a fait preuve de l’attention requise par les circonstances. Après avoir rappelé que la mesure d’une telle attention est largement une question d’appréciation, le TF a considéré que, concernant la remise en gage de papiers-valeurs, métaux précieux, monnaies anciennes, etc., il est admis « qu’une banque peut tenir pour honorable même un cocontractant inconnu et qu’elle n’est un principe pas tenue d’effectuer des recherches sur la provenance des biens de valeur qui lui sont remis en gage et sur le pouvoir d’en disposer, mais peut se fonder sur la présomption légale liée à la possession (art. 930 CC), sauf circonstances particulières justifiant des doutes ou de la méfiance. ». Le degré de diligence requis de la banque est cependant élevé, poursuit le TF, il se concrétise dans l’obligation de diligence propre à l’activité bancaire. Cette obligation de diligence est respectée lorsque la banque, lors de l’ouverture d’un compte et l’acceptation de sûretés, se conforme aux exigences de la CDB. Demeurent réservées les situations où les circonstances particulières qui auraient fait naître des doutes ou de la méfiance sur la capacité de disposer du constituant du gage. Dans un tel cas, l’étendue des recherches se détermine au regard des circonstances concrètes.
Dans le cas d’espèce, le TF n’a pas semblé considérer que la nature des objets remis en nantissement ou l’identité des débitrices gagées serait de nature à attirer l’attention de la banque. L’absence de développements du TF sur ces questions est un peu frustrante.
Cette décision surprend aussi à plus d’un titre. Le TF assimile ici l’attention exigée par les circonstances – notion de droit privé – au respect de la CDB et de l’OBA-CFB, normes dont le respect est exigé par le droit administratif. On se souvient que le TF aime à répéter que l’obligation d’identifier l’ayant droit économique relève de la lutte contre le blanchiment et n’a pas d’incidence sur les rapports de droit civil (cf. not. TF du 23 juillet 2002, 4C.108/2002). En irait-il différemment des obligations en matière d’identification du cocontractant ? Dans l’affirmative, voilà une brèche dans laquelle les plaideurs ne manqueront pas de s’engouffrer. Dans la négative, pourquoi avoir étalonné la mesure de l’attention exigée par les circonstances au respect de la CDB et de l’OBA-CFB, alors que l’attention prévue par l’art. 3 al 2 CC et 884 al. 2 CO doit porter sur le pouvoir de disposer et non sur l’identité du constituant du gage, d’une part, et que celui-ci peut n’être ni le cocontractant ni l’ayant droit économique ? Voilà donc une décision qui aura probablement pour effet d’augmenter – inutilement – l’incertitude sur la portée des différents devoirs de la banque.