Extourne de virements opérés sans ordre valable
Nicolas de Gottrau
Dans un arrêt du 14 juillet 2006 destiné à la publication(4C.86/2006)), le Tribunal fédéral a examiné la validité
d’une extourne de virements bancaires.
Les demandeurs, deux personnes physiques, avaient ouvert un compte auprès de la banque défenderesse ; ils étaient en relation d’affaires avec une tierce partie disposant également d’un compte auprès de cette banque. A un moment donné, les demandeurs ont exposé à un directeur (adjoint) de la banque que le 60 % des avoirs déposés sur le compte de la tierce partie leur appartenaient à raison de 30 % chacun. Le directeur a alors remis aux demandeurs un formulaire A pour qu’ils le remettent pour signature à la tierce partie afin que la modification des ayants droit économiques du compte en cause puisse être opérée.
Quelque temps plus tard, les demandeurs ont remis à la banque un formulaire A concernant le compte du tiers muni de sa signature authentique. Le directeur a mentionné de sa main le nom du titulaire, le numéro de compte et les ayants droit économiques, à savoir 40 % pour le tiers et 30 % pour chacun des demandeurs. Par la suite, le directeur a fait signer à ces derniers, sur un extrait du compte du tiers, l’instruction demandant le transfert de 30 % dudit compte à chacun des deux demandeurs. Ce n’est que six mois plus tard que le tiers, à l’issue d’une longue maladie, a téléphoné à la banque pour connaître le solde de son compte. Apprenant qu’il ne restait plus que 40 %, il a immédiatement contesté avoir donné la moindre instruction et affirmé être resté l’unique propriétaire des actifs sur son compte. La banque a alors extourné les montants transférés sur les comptes des demandeurs pour les remettre sur le compte du tiers, puis licencié le directeur pour des motifs liés à la présente affaire. Les demandeurs ont, quant à eux, eu l’idée d’ouvrir action contre la banque pour contester l’extourne.
Le Tribunal fédéral a commencé par relever que la banque avait exécuté un virement interne en transférant sur le compte de chacun des deux demandeurs le montant débité du compte du tiers. Dans cette forme de virement, tant le donneur d’ordre que le bénéficiaire sont titulaires d’un compte dans la même banque de telle sorte que le transfert des fonds est opéré par voie scripturale, la banque effectuant une simple opération comptable dans ses livres. Un tel virement bancaire est une assignation au sens de l’art. 466 CO, la banque assignée remettant au bénéficiaire (assignataire) la somme d’argent que le donneur d’ordre a indiqué préalablement à l’assignée. L’assignation est une double autorisation unilatérale émanant de l’assignant ; c’est donc la combinaison de deux manifestations de volonté de l’assignant, la première étant celle par laquelle ce dernier autorise l’assigné à effectuer une prestation en faveur de l’assignataire, alors que la seconde est celle par laquelle l’assignant permet à l’assignataire de recevoir de l’assigné ladite prestation. S’agissant d’un ordre de virement, la seconde autorisation, à savoir celle donnée à l’assignataire de recevoir de l’assigné une certaine somme d’argent, n’a pas de portée propre dès lors que le bénéficiaire d’un ordre n’a qu’une attitude passive. Enfin, pour qu’il y ait manifestation de volonté, l’acte doit émaner de la personne à laquelle la manifestation est attribuée.
Dans le cas d’espèce, les demandeurs avaient remis à la banque, à titre d’ordre de virement, un formulaire A afférant au compte du tiers, muni de la signature authentique de ce dernier, formulaire sur lequel le directeur de la banque avait indiqué de sa main l’identité des ayants droit économiques. Or, comme le rappelle le Tribunal fédéral, l’identification de l’ayant droit économique prescrite par la LBA intervient dans le cadre de la lutte contre la criminalité économique et ne déploie aucun effet de droit privé. Un tel formulaire ne pouvait donc valoir comme ordre de virement d’une somme déterminée émis par le titulaire du compte. Par ailleurs, l’extrait de compte du tiers sur lequel le directeur avait mentionné que les fonds déposés devaient être répartis entre les demandeurs et le tiers ne portait pas la signature du tiers, titulaire du compte. Il était dès lors exclu d’y voir un ordre de paiement au profit des demandeurs. De même, le fait que les avis de crédit de la banque précisaient que le donneur d’ordre était le tiers signifiait seulement que les avoirs transférés provenaient du compte de l’intéressé ; cela n’établissait pas qu’il existait précédemment un ordre de virement valable. Enfin, le tiers n’avait pas ratifié les transferts de fonds. Au contraire, il avait immédiatement contesté avoir donné la moindre instruction de virement, dès qu’il avait eu connaissance, à l’issue de sa maladie, des transferts de fonds litigieux.
A défaut d’autorisation du prétendu assignant (le tiers) adressée à la banque assignée de payer aux assignataires (les demandeurs), les prestations que la banque avait effectuées au profit de ces derniers étaient dénuées de cause juridique, l’assignation faisant totalement défaut. Lorsque la banque a retransféré au tiers l’équivalent des virements opérés sans cause valable, elle s’est trouvée appauvrie d’autant, de sorte qu’elle disposait à l’encontre des demandeurs d’une prétention en enrichissement illégitime fondée sur l’art. 62 al. 1 CO. Si, comme en l’espèce, les sommes créditées sans cause valable par la banque se trouvent encore sur les comptes de ses clients, celle-ci peut, pour des raisons pratiques, contre-passer unilatéralement l’écriture, sans devoir intenter une action en enrichissement illégitime. En d’autres termes, elle dispose d’un droit d’extourne, car les clients, en raison de la relation contractuelle qu’ils ont nouée avec la banque, ont consenti tacitement à lui accorder un tel droit si cette hypothèse devait se réaliser. La banque était donc bien fondée à extourner les montants transférés sans cause aux demandeurs.