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Négociants en valeurs mobilières

Le TAF précise la notion d’offre au public en tant que critère d’assujettissement à la LBVM, en particulier pour les maisons d’émission

Le 27 janvier 2010, le Tribunal administratif fédéral a rendu un arrêt (B-4409/2008) qui précise la notion d’offre au public visée à l’art. 2 lit. d LBVM et rejette l’application d’un critère quantitatif en tant que critère de délimitation. Cet arrêt fait suite à une décision de la FINMA qui prononce la faillite d’établissements déployant en Suisse une activité assujettie à la LBVM sans être au bénéfice de l’autorisation requise.
En l’espèce, les recourants ont contesté leur assujettissement à la LBVM considérant qu’ils n’avaient jamais procédé à des offres au public, de sorte que leur activité ne pouvait être assimilée à une activité de maison d’émission au sens de l’art. 2 lit. d LBVM.
Conformément à la législation sur les bourses et les valeurs mobilières, sont considérées comme maisons d’émission – et constituent dès lors une catégorie de négociants soumise à la LBVM (art. 2 lit. d LBVM et 3 al. 2 OBVM) – les personnes qui prennent ferme ou à la commission des valeurs mobilières émises par des tiers et offrent ces titres au public, sur le marché primaire.
La notion d’offre au public – ou appel au public– figure dans divers textes de la législation bancaire et financière (LBVM, OBVM, LPCC, OPCC) et constitue un critère d’assujettissement pour plusieurs activités, notamment pour certains types de négociants et pour la distribution de placements collectifs en Suisse. Si la FINMA a précisé cette notion au moyen de circulaires (Circ.-FINMA 08/5 pour les négociants et Circ.-FINMA 08/8 s’agissant des placements collectifs), ce critère d’assujettissement reste sujet à interprétation et constitue régulièrement le point d’achoppement entre les entités contestant leur obligation d’assujettissement et l’autorité de surveillance.
En l’espèce, le TAF a examiné si un critère quantitatif pouvait être appliqué pour délimiter la notion d’offre au public. La FINMA avait retenu, dans sa décision objet du recours, qu’une offre devait être qualifiée d’offre au public dès lors qu’elle s’adressait à plus de 20 investisseurs (non-qualifiés) ; le TAF a toutefois refusé l’application d’un tel critère quantitatif au profit d’un seul critère qualitatif.
Si une partie de la doctrine voyait dans ce critère des « 20 » un critère pratique bienvenu, le TAF relève que l’application d’un tel critère ne trouve aucun fondement dans la législation se référant à la notion d’offre – ou d’appel – au public (contrairement à d’autres aspects de la législation bancaire et financière pour lesquels le chiffre 20 constitue un critère de délimitation, tels l’art. 3a al. 2 OB ou l’art. 4 OBVM). Par ailleurs, les circulaires précitées de la FINMA ne se réfèrent pas non plus à un critère quantitatif, étant précisé qu’elles ne lient d’ailleurs pas le TAF, vu sa qualité de juridiction administrative indépendante, ce qu’il n’a pas manqué de rappeler. Le TAF précise que la notion d’offre au public dans le cadre de l’activité de maison d’émission doit être appréciée dans le même sens que celui visé à l’art. 652a CO qui impose la publication d’un prospectus d’émission si les nouvelles actions sont offertes en souscription publique. A teneur de cette disposition, est qualifié de public « tout appel de souscription qui ne s’adresse pas à un cercle limité de personnes » (art. 652a al. 2 CO). Le critère déterminant au regard de cette disposition réside dès lors dans le caractère indéterminé du cercle de personnes visées par l’offre et non dans le nombre de celles-ci.
Le TAF arrive à cette même conclusion s’agissant de la notion d’offre au public de l’art. 2 lit. d LBVM retenant que seul le critère qualitatif doit être pris en compte pour déterminer si une offre est faite au public et non un critère quantitatif. Ainsi, une offre doit être considérée comme faite au public si le moyen de publicité utilisé s’adresse à, ou peut atteindre, un cercle indéterminé de personnes. En revanche, si des investisseurs potentiels, même privés, sont choisis ou contactés sur une base individuelle, ceci ne constitue pas une offre au public.
Enfin, le TAF rappelle utilement que la collaboration avec des investisseurs qualifiés aux fins de distribuer les valeurs mobilières concernées ne permet pas de bénéficier de l’exception visée à l’art. 3 al. 7 OBVM (qui prévoit l’exonération de l’assujettissement si les offres sont faites à des investisseurs qualifiés puisqu’elles ne sont dès lors pas qualifiées de « publiques »). Ainsi, une maison d’émission ne saurait justifier son non-assujettissement au motif qu’elle n’a entretenu des contacts qu’avec des investisseurs qualifiés, lesquels se sont, à leur tour, employés à offrir les valeurs mobilières au public non pour leur propre compte, mais en se référant expressément à la maison d’émission. L’exception de l’art. 3 al. 7 OBVM ne peut s’appliquer que si les destinataires finaux de l’offre, et donc les souscripteurs des titres offerts, sont effectivement des investisseurs qualifiés (au sens de l’art. 3 al. 6 OBVM). En réalité, la collaboration avec des intermédiaires (qualifiés ou non) dans le cadre de la distribution plaide plutôt en faveur d’une offre au public car il est alors plus difficile pour l’offrant de contrôler le cercle des investisseurs potentiels contactés.
Dans la mesure où cette décision clarifie la notion indéterminée de l’offre au public, elle est bienvenue. Elle paraît également en ligne avec l’évolution législative et prudentielle. En effet, ni la LPCC ni les circulaires de la FINMA n’ont repris le critère des « 20 » qui avait été fixé dans la circulaire CFB 03/01 sur l’appel au public dans la LPC (la CFB considérait à l’époque, de manière surprenante, que la suppression de ce critère contribuerait à la clarification de la définition de l’offre au public et à la sécurité du droit ). Enfin, la circulaire de la FINMA relative aux négociants (Circ.-FINMA 08/5) définit la notion d’offre au public comme étant l’offre « adressée à un nombre indéterminé de personnes ». Cela étant, il n’est pas certain qu’en pratique, le principe posé par le TAF – s’il est confirmé par le Tribunal fédéral qui semble l’avoir retenu, toutefois sans avoir procédé un examen détaillé de cette notion (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_276/2009 du 22 septembre 2009, consid. 4.1) – se révèle d’une grande aide. En effet, en se fondant sur un seul critère qualitatif, l’on peut se demander si une notion juridique indéterminée – l’offre au public – n’a pas simplement été remplacée par une nouvelle notion juridique indéterminée – le cercle indéterminé de personnes. Par ailleurs, à suivre cette jurisprudence, l’on devrait dès lors admettre qu’une offre adressée à un cercle déterminé de personnes ne constituerait pas une offre au public, quand bien même le nombre de destinataires serait important. Une telle solution paraît peu compatible avec le souci du législateur de protéger les investisseurs privés. A cet égard, l’application d’un critère quantitatif, soit une limite à partir de laquelle une offre serait réputée faite à un cercle indéterminé de personnes, aurait peut-être eu le mérite de poser une solution claire et appréciable au regard de la sécurité du droit, en adoptant un critère objectif pour l’appréciation du caractère indéterminé du cercle de personnes visées.