Distribution de produits financiers
Vers une protection renforcée des investisseurs ?
Lucia Gomez Richa
Le 10 novembre 2010, la FINMA a levé le voile sur ses réflexions menées à la suite de son rapport sur l’affaire Madoff et la distribution de produits Lehman. Dans celui-ci, la FINMA prenait acte du fait que la réglementation actuelle manquait à tout le moins partiellement sa cible s’agissant de la protection des investisseurs, qui constitue pourtant l’un des objectifs de la réglementation des marchés (art. 7 LFINMA) et de l’action de la FINMA (objectifs stratégiques de la FINMA du 30 septembre 2009).
Cette prise de conscience a eu pour effet de plonger le régulateur dans une analyse des règles régissant la distribution et les produits financiers à la clientèle de détail en Suisse. Cette réflexion s’étend également sur les règles applicables à la distribution transfrontière de produits et à la surveillance des prestataires de services financiers au sens large. Elle nous livre le résultat sous la forme d’un rapport sur la distribution, comprenant un état des lieux de la distribution de produits financiers tant sous un angle factuel que juridique, des propositions d’amélioration et de concrétisation dans le paysage réglementaire suisse.
Selon la FINMA, le marché suisse des produits financiers souffre d’un déséquilibre entre prestataires de services financiers et clients peu, voire pas expérimentés, marqué notamment par une importante asymétrie d’informations entre ces groupes et une complexité grandissante des produits financiers offerts, y compris dans leur structure de coûts. Cela, note le régulateur, a notamment pour conséquence que ce marché se caractérise par une distribution active (« pushing ») plus que par une demande des investisseurs (« pulling ») et que ces derniers se fondent souvent sur les conseils, pas toujours éclairés, de tiers lors de l’achat de tels instruments. Sur le plan juridique, l’analyse de la réglementation de droit privé et de droit de la surveillance fait parvenir le régulateur à la conclusion que celle-ci est multiforme, et presque aussi complexe que les produits qu’elle entend réglementer, pour un résultat somme toute insatisfaisant puisqu’elle ne compense que partiellement ces déséquilibres, voire même a pour effet de désavantager les investisseurs.
Pour remédier à cette situation, le régulateur propose notamment :
1. Une segmentation trans-sectorielle (indépendante des produits/services financiers) des investisseurs en deux catégories (qualifiés/non qualifiés) avec possibilité d’opting in/out ; les règles de conduite, de même que les règles en matière de transparence, seraient ajustées en fonction du besoin de protection de chacune de ces deux catégories.
2. Une transparence plus cohérente et qualitative des produits financiers au moyen de devoirs d’information, y compris s’agissant de leur coût, et d’établissement de prospectus fondés sur des règles identiques pour tous les produits et d’une obligation d’actualisation de ces informations
3. Une uniformisation et une extension des règles de conduite pour l’ensemble des prestataires de services (y compris les gestionnaires de fortune et les conseillers en placement) se trouvant au point of sale, comprenant un devoir d’information précontractuel, l’introduction des fameux appropriatness et suitability tests dans le droit réglementaire ainsi que des devoirs de documentation des relations contractuelles plus contraignants.
4. La soumission des litiges entre ces prestataires et les investisseurs à la compétence d’un Ombudsman.
Pour mettre en œuvre les mesures préconisées, la FINMA dispose pour l’heure de moyens légaux limités : elle ne peut que renforcer le contrôle de la bonne application des règles existantes. A moyen terme, elle souhaite l’élaboration d’une ordonnance du Conseil fédéral. Cette ordonnance fondée sur les articles 11 LBVM et 20 LPCC pourrait servir de fondement légal à l’introduction de règles de conduite plus complètes selon le type d’activité concerné (mandat de gestion, de conseil ou execution only) et valables pour tous les assujettis ainsi que pour la segmentation de la clientèle. Elle ne constituerait toutefois pas une base légale suffisante pour l’introduction des autres recommandations susmentionnées, y compris s’agissant de l’assujettissement à ces règles des gestionnaires de fortune et autres conseillers ainsi que des tests de suitability et d’appropriatness. Pour cela, la FINMA préconise à plus long terme l’élaboration d’une loi fédérale sur les services financiers.
La réflexion du régulateur est à notre sens juste. Dans un système juridique où la protection de l’investisseur est presque exclusivement axée sur la réduction des asymétries d’information, force est de constater que cette position trouve aujourd’hui ses limites. L’introduction d’un arsenal de règles plus contraignantes s’agissant notamment des règles de conduite semble par conséquent nécessaire et, par ailleurs, en ligne avec les développements internationaux. Il nous paraît toutefois important que leur arbitrage passe par le parlement plutôt que par une circulaire, même si cela signifie que la route sera sans doute très longue jusqu’à l’éventuel aboutissement d’un tel projet.
La FINMA attend les réactions écrites sur sa prise de position jusqu’à la mi-avril 2011. Après quoi, celles-ci seront publiées et le régulateur évaluera la suite à donner à son projet.