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Garanties bancaires

Portée de la clause de garantie

Dans un arrêt rendu le 13 février 2012 (4A_505/2011) destiné à la publication, le Tribunal fédéral s’est penché sur la question de l’étendue des devoirs de la (banque) garante en cas d’appel à la garantie.
Notre Haute Cour devait se fonder sur l’état de fait suivant : deux sociétés avaient conclu un contrat d’entreprise dans le cadre duquel une tierce entité avait été requise d’émettre une garantie, le garant s’engageant à payer à première demande, sans faire valoir d’exception ou d’objection résultant du rapport contractuel de base. Pour faire appel à la garantie, la société bénéficiaire devait seulement, à teneur de la garantie, remettre à l’appui de sa demande de paiement une confirmation écrite selon laquelle son cocontractant (donneur d’ordre de la garantie) n’avait pas rempli ses obligations contractuelles. C’est exactement ce qu’avait fait le bénéficiaire. Or, le donneur d’ordre, dûment informé de l’appel à la garantie, avait immédiatement exposé au garant pour quels motifs le cas de garantie n’était, selon lui, pas réalisé. Par voie de conséquence, le garant avait demandé au bénéficiaire de justifier (substanzieeren) son appel à la garantie, ce que le bénéficiaire avait dans un premier temps refusé de faire en invoquant le caractère abstrait de la garantie, avant de spécifier (mais après l’expiration du délai de validité de la garantie) quelles violations contractuelles avaient été commises. Finalement, le garant avait payé la somme garantie, puis demandé au donneur d’ordre de lui rembourser le montant payé au bénéficiaire. Le donneur d’ordre ayant refusé ce remboursement, le litige avait été porté devant les tribunaux de Bâle-Campagne. Ceux-ci avaient débouté le garant au motif qu’il aurait violé son devoir de diligence (art. 398 al. 2 CO) en honorant la garantie sans obtenir du bénéficiaire qu’il justifiât, dans le délai de validité de la garantie, sa demande de paiement. En conséquence, concluaient les tribunaux bâlois, le garant n’avait pas droit au remboursement de ses frais (art. 402 al. 1 CO).
Le garant a recouru au Tribunal fédéral, en faisant valoir en substance que les tribunaux cantonaux avaient violé le droit fédéral en retenant un devoir de justification (Substanziierungspflicht) à charge du bénéficiaire alors même que la clause de garantie ne le prévoyait pas. Or, selon la jurisprudence, le garant ne peut opposer au bénéficiaire que les exceptions et objections résultant du rapport de garantie, et plus précisément du texte même de la garantie. Si donc il fallait exiger du bénéficiaire qu’il justifiât les raisons de sa demande, cela réduirait à néant le principe de l’abstraction et celui de la rigueur documentaire (Garantiestrenge).
Pour le Tribunal cantonal de Bâle-Campagne, le fait pour le garant d’exiger du bénéficiaire qu’il justifie sa demande de paiement par une description sommaire des circonstances donnant lieu à la réalisation du cas de garantie devait permettre d’éviter des appels abusifs qu’il serait sinon très difficile de déceler. A défaut, le donneur d’ordre serait pratiquement dans l’incapacité d’établir un abus de droit dans le cas de garanties dans lesquelles le garant s’engage à payer à première réquisition, immédiatement, et sans faire valoir d’exception ou d’objection (résultant des rapports de valeur et de couverture). Or, en l’espèce, les explications fournies par la bénéficiaire ne l’avaient été qu’après l’échéance de validité de la garantie ; dès lors la question du caractère abusif ou non de l’appel à la garantie pouvait rester ouverte ; le garant, ayant violé son mandat, ne pouvait quoi qu’il en soit pas se retourner contre son mandant pour obtenir le remboursement de ses frais.
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que lorsqu’une garantie indépendante est délivrée, le garant doit honorer son engagement sans égard à un éventuel litige relatif au contrat de base (rapport de valeur), aussitôt après l’appel du bénéficiaire, si les conditions de mises en jeu, telles que précisées dans la lettre d’engagement, sont réunies. Le caractère abstrait ou autonome de la garantie trouve néanmoins certaines limites, entre autres dans la loi ; l’indépendance de la dette résultant d’un contrat de garantie cesse en effet lorsque son bénéficiaire s’en prévaut au mépris manifeste des règles de la bonne foi (art. 2 al. 2 CC). Dans ce dernier cas, le garant a non seulement le droit, mais aussi l’obligation – en raison du contrat de mandat qui le lie au donneur d’ordre – de refuser son paiement.
Notre Haute Cour poursuit en relevant que si une partie de la doctrine soutient effectivement que le bénéficiaire serait tenu d’indiquer en quoi le cas de garantie est réalisé (et ce, quand bien même le libellé de la garantie ne le requiert pas expressément), la majorité des auteurs considèrent cependant que le garant doit s’en tenir au texte strict de la garantie qui, seul, détermine les conditions d’appel à cette dernière. Si donc ces conditions sont réalisées, le bénéficiaire n’est nullement obligé de présenter sa demande de façon probante ou d’en établir le bien-fondé. Et le Tribunal fédéral de rappeler sa jurisprudence selon laquelle le garant appelé à exécuter son engagement ne peut opposer au bénéficiaire d’autres exceptions que celles tirées du contrat de garantie et ne peut exiger de lui d’autres justifications que celles que stipulait formellement, cas échéant, la garantie. Il ne peut donc être demandé au bénéficiaire de justifier la survenance du cas de garantie au-delà de ce que requiert le texte même de la garantie. Au contraire, c’est la responsabilité du garant d’énumérer toutes les conditions qui doivent être réalisées (par le bénéficiaire) pour obtenir le paiement de la somme garantie dans sa promesse de garantie ; le bénéficiaire doit à cet égard pouvoir se fier au texte de la clause de garantie.
Dans le cas d’espèce, le garant aurait donc dû s’en tenir au libellé de la garantie. A compter du moment où le bénéficiaire avait fait appel à la garantie en respectant toutes les conditions grevant l’engagement du garant (il avait remis, dans le délai de validité de la garantie, une demande de paiement écrite ainsi qu’une déclaration selon laquelle son contractant n’avait pas rempli ses obligations contractuelles), le garant devait procéder au paiement. Il ne pouvait demander d’explications supplémentaires sur la nature des violations contractuelles commises par le donneur d’ordre.
Cette décision du Tribunal fédéral – qui ne peut être qu’approuvée – a le mérite de clarifier un point encore discuté par une partie de la doctrine. Il nous paraît en effet important que le bénéficiaire sache clairement quelles conditions précises il doit remplir pour faire (valablement) appel à la garantie. Le garant ne peut (et ne doit pas pouvoir) en ajouter d’autres au moment où la garantie est appelée. Il est vrai que le libellé très vague de certaines garanties à première demande peut donner lieu à des appels abusifs. Typiquement, n’est-il pas (trop) facile pour un bénéficiaire de tirer (cas échéant abusivement) sur l’entier d’une garantie en alléguant simplement que son cocontractant « n’a pas rempli toutes ses obligations contractuelles » ? Cela étant, c’est au donneur d’ordre (que sa banque est d’ailleurs tenue de conseiller) qu’il appartient de prévoir une clause de garantie suffisamment précise pour le mettre à l’abri d’un tel risque. Il pourra notamment demander (pour autant que le rapport de force dans la négociation du contrat le lui permette) que le bénéficiaire spécifie le cas de garantie, par exemple en indiquant précisément quelle violation contractuelle a été commise par le donneur d’ordre ou même en demandant qu’un rapport d’expertise indépendant établisse ladite violation et le montant prévisible du dommage (garantie documentaire). Cela dit, ce n’est pas au garant de se faire juge de la validité de l’appel en s’écartant des exigences strictes énoncées dans la clause de garantie. Si les conditions grevant l’engagement du garant sont réalisées, et sauf abus de droit manifeste, le paiement doit intervenir. C’est ensuite au donneur d’ordre qu’il appartiendra, cas échéant, de se retourner contre le bénéficiaire, comme le rappelle l’adage « erst zahlen, dann prozessieren » prévalant en matière de garantie bancaire.