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Droit des sûretés

Réalisation de cédules hypothécaires transférées à fin de garantie

Dans un arrêt 5A_32/2011 du 16 février 2012 destiné à la publication, le Tribunal fédéral s’est penché sur la question épineuse de la réalisation par une banque de cédules hypothécaires transférées à titre fiduciaire en garantie d’un prêt.
Dans le cas d’espèce, la banque avait conclu, en septembre 2006, une convention de crédit-cadre avec A. et B., agissant conjointement et solidairement. Aux termes de ladite convention, la banque s’engageait à accorder à ces derniers une limite de crédit d’un montant maximal de plus de 17 millions de francs. Le prêt, de même que les intérêts échus et courants ainsi que les commissions, était couvert par le transfert à la banque de la propriété à fin de garantie de dix cédules hypothécaires au porteur. La banque disposait, en vertu de la convention, d’un droit de résiliation (ordinaire) qu’elle pouvait exercer à tout moment avec effet immédiat. En cas de résiliation, la part de limite non utilisée était annulée et les montants utilisés devenaient exigibles à l’échéance de la durée convenue pour l’hypothèque fixe. Eu égard aux sûretés, la banque s’était réservé le droit de déterminer seule de l’étendue et de la répartition du produit de la vente des cédules hypothécaires, ainsi que de l’ordre de réalisation de celles-ci.
La banque a résilié la convention par courrier du 12 février 2009 et exigé le remboursement des prêts déjà échus d’un montant de plus de 14 millions de francs pour le 31 mars 2009. Elle a en outre rappelé à ses clients qu’un dernier prêt de plus de 3 millions de francs arrivait à échéance le 17 avril suivant. Les clients n’ayant pas procédé aux remboursements en temps voulu, la banque a engagé des poursuites en réalisation de gage le 19 mai 2009, poursuites auxquelles A. a fait opposition totale. La banque a donc agi en justice afin d’obtenir la mainlevée de l’opposition.
Le présent état de fait pose deux problèmes épineux auxquels le Tribunal fédéral apporte des réponses :
(i) De l’étendue de la réclamation du créancier : la créance incorporée dans une cédule hypothécaire doit être distinguée de la créance causale issue du rapport contractuel de base (in casu le contrat de prêt). Seule la créance incorporée dans la cédule hypothécaire jouit d’un droit de gage immobilier et peut par conséquent fonder une poursuite en réalisation du gage. Le Tribunal fédéral rappelle les trois cas de figure susceptibles de se présenter, savoir (1) le montant de la créance de la banque (capital, frais et intérêts selon l’art. 818 al. 1 CC) est inférieur au montant nominal de la créance incorporée dans la cédule ; (2) le montant de la créance de la banque (capital, frais et intérêts) est supérieur au montant nominal de la créance incorporée dans la cédule additionné des intérêts conventionnels et (3) le montant de la créance de la banque (capital, frais et intérêts) est supérieur au montant nominal de la créance incorporée dans la cédule mais inférieur au montant de cette même créance additionné des intérêts conventionnels. Dans le premier et dans le troisième cas de figure, la banque ne peut poursuivre son débiteur que pour le montant de sa créance, lors même que le gage immobilier porte sur une somme supérieure, ceci en vertu du pactum de non petendo qu’implique la convention fiduciaire. Un pactum de non petendo veut qu’en cas de transfert fiduciaire de cédules hypothécaires en garantie d’une créance, le créancier ne poursuive pas son débiteur au-delà du montant de sa créance causale, lors même qu’il serait en mesure de poursuivre pour le montant (plus élevé) de la créance incorporée dans la cédule hypothécaire. Le pactum de non petendo est une exception que le débiteur peut opposer au créancier en vertu de l’art. 872 CC, l’autorité judiciaire ne pouvant ainsi pas l’examiner d’office. Quant au deuxième cas de figure, le créancier ne pourra poursuivre son débiteur que pour le montant nominal de la créance incorporée dans la cédule additionné des intérêts conventionnels, lors même que le montant de sa créance causale serait supérieur à celui-ci.
(ii) Du mode de répartition de la créance : lorsque plusieurs immeubles sont mis en gage afin de garantir une créance, deux cas de figure peuvent se présenter : soit chacun des immeubles est grevé pour l’entier de la créance (gage collectif au sens de l’art. 798 al. 1 CC), soit un droit de gage distinct est constitué sur chacun des immeubles grevés pour une fraction seulement de la créance garantie (art. 798 al. 2 CC). Dans le second cas de figure, qui fut l’option retenue par les parties en l’espèce, le créancier doit poursuivre simultanément la réalisation de tous les immeubles (art. 816 al. 3 CC, qui est de droit impératif) et la répartition de la garantie se fait proportionnellement à la valeur des divers immeubles (art. 798 al. 3 CC). Le Tribunal fédéral saisit ici l’occasion pour rappeler la formule qu’il s’agit d’appliquer en cas de répartition proportionnelle :
Créance totale x (valeur estimative de l’immeuble/valeur estimative de l’ensemble des immeubles) = part de la créance totale que doit garantir l’immeuble.
Et le Tribunal fédéral de rappeler qu’il ne peut se prononcer définitivement que sur le mode de répartition, non pas sur les montants, puisque, selon la jurisprudence, le créancier gagiste poursuivant peut, au stade de l’épuration de l’état des charges (art. 140 LP), produire d’autres ou de plus amples droits que ceux réclamés dans la réquisition de poursuite.