Projet de loi sur les infrastructures des marchés financiers (LIMF)
Nouvelles règles dans le négoce des produits dérivés

Pierre-Olivier Etique
Le 3 septembre 2014, le Conseil fédéral a adopté le message relatif à la Loi fédérale sur l’infrastructure des marchés financiers (LIMF). Ce projet propose une réglementation harmonisée des infrastructures des marchés financiers et introduit de nouvelles règles sur le négoce de dérivés, dans le but d’adapter le droit suisse aux dernières évolutions internationales dans ce domaine (Dodd-Frank Act, EMIR). Les règles applicables à la négociation de valeurs mobilières contenues dans la Loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (LBVM), relatives à la publicité des participations, aux offres publiques d’acquisition, ainsi qu’aux opérations d’initiés et à la manipulation du marché, sont regroupées dans la LIMF. A l’occasion de ce projet, un régime uniforme en matière d’assistance administrative est en outre créé dans la Loi fédérale sur la surveillance des marchés financiers (LFINMA).
Les infrastructures des marchés financiers sont les bourses, les systèmes multilatéraux de négociation, les contreparties centrales, les dépositaires centraux, les « référentiels centraux » et les systèmes de paiement. Les systèmes multilatéraux de négociation se distinguent des bourses par le fait qu’ils ne cotent pas les valeurs mobilières qu’ils admettent à la négociation. Toute infrastructure des marchés financiers doit obtenir une autorisation de la FINMA. Des exigences spéciales sont imposées aux infrastructures des marchés financiers jugées d’importance systémique.
Les nouvelles dispositions applicables au négoce de dérivés s’adressent, sous réserve de certaines exceptions, aux contreparties financières et non financières. Elles visent le négoce de dérivés, à l’exclusion des produits structurés et des prêts de valeurs mobilières (securities lending and borrowing).
Trois obligations centrales sont introduites par la LIMF dans le domaine du négoce de dérivés : l’obligation de compenser, l’obligation de déclarer les opérations sur dérivés et l’obligation de réduire les risques.
L’obligation de compenser impose aux contreparties financières et non financières de compenser leurs opérations sur dérivés par l’intermédiaire d’une contrepartie centrale, pour autant que les dérivés soient suffisamment standardisés, en fonction de critères qui seront précisés par la FINMA. Les swaps de devises et les contrats à terme sur devises n’entraînent aucune obligation de compensation. A la différence d’EMIR, le projet de LIMF prévoit des exceptions à l’obligation de compenser en faveur de toutes les « petites contreparties » (non financières, mais également financières). Elles visent des entités dont la position brute moyenne en dérivés de gré à gré est inférieure aux seuils qui seront fixés par voie d’ordonnance.
Toutes les opérations sur dérivés, y compris celles consistant en des swaps sur devises ou des contrats à terme sur devises, doivent être déclarées à un référentiel central agréé ou reconnu par la FINMA, que les dérivés aient été négociés ou non sur un marché réglementé. Cette obligation s’applique sans exception à toutes les contreparties financières et non financières. Celles-ci ont le devoir de communiquer au référentiel central les caractéristiques essentielles de chaque opération sur dérivés. L’obligation de déclarer porte sur l’identité des contreparties, le type d’opération, l’échéance, la valeur nominale, le prix, la date du règlement et la monnaie utilisée. En revanche, et contrairement à ce que prévoit EMIR, l’identité de l’ayant droit économique de l’opération n’a pas à être divulguée. Le Conseil fédéral peut exiger d’autres indications en fonction de l’évolution des normes internationales.
Lorsque les dérivés négociés ne sont pas suffisamment standardisés et qu’ils ne peuvent dès lors être compensés par une contrepartie centrale agréée, les contreparties sont tenues de prendre des mesures de réduction des risques opérationnels et de contrepartie. L’obligation de réduire les risques s’applique à toutes les opérations sur dérivés, que ces derniers se négocient sur une plate-forme de négociation, un système organisé de négociation ou de gré à gré. A ce titre, les contreparties doivent notamment confirmer la transaction en temps utile, mettre en place des procédures pour le rapprochement des portefeuilles et la gestion des risques associés, ainsi que pour l’identification et le règlement rapide d’éventuels différends ; à certaines conditions, elles effectuent des compressions de portefeuilles. Les contreparties doivent en outre évaluer quotidiennement leurs positions en dérivés au prix du marché et échanger des garanties appropriées en vue de la couverture du risque de défaillance. Les swaps sur devises et les contrats à terme sur devises ne sont pas concernés par cette obligation de réduire les risques, dès lors que ces instruments financiers ne génèrent pas un risque de compensation. Des allégements sont en outre prévus pour les petites contreparties financières et non financières.
Enfin, anticipant les évolutions internationales (notamment MiFIR), la LIMF introduit une base légale permettant d’imposer à toutes les contreparties financières et non financières, à l’exception des petites contreparties, l’obligation de négocier toutes les opérations sur dérivés standardisés sur une plateforme ou un système organisé de négociation autorisé ou reconnu par la FINMA. L’entrée en vigueur de cette obligation est toutefois différée jusqu’à ce que cette norme s’impose au plan international, ce qui pourrait être le cas à l’entrée en vigueur de la LIMF.
Perspectives
La LIMF renforce et élargit les efforts d’harmonisation entrepris par la Suisse dans le domaine des infrastructures des marchés financiers avec la révision partielle de l’Ordonnance de la Banque nationale, entrée en vigueur le 1er juillet 2013. L’enjeu est important pour les infrastructures suisses des marchés financiers, qui doivent être en mesure de proposer leurs services à des participants aux marchés financiers étrangers, notamment au sein de l’UE. En outre, la LIMF est un pas nécessaire vers l’équivalence, aux normes internationales, de la réglementation suisse relative au négoce de dérivés. Sans cette équivalence, les groupes financiers pourraient être pénalisés dans leurs opérations transfrontalières intragroupes en matière de dérivés. Le compromis trouvé par les auteurs du projet doit être salué : tout en reprenant l’essentiel du dispositif européen EMIR, la LIMF aménage un régime d’exception bienvenu en faveur des petites contreparties.
La LIMF pourrait entrer en vigueur à l’horizon 2016.
Les participants au marché devront analyser les conséquences stratégiques, opérationnelles et juridiques des nouvelles dispositions en matière de négoce de dérivés sur leur modèle d’affaires. Les contreparties détermineront l’étendue de leurs obligations en fonction des exceptions ou des allégements dont elles pourront bénéficier et adapteront leurs contrats et leurs procédures internes aux nouvelles exigences. Il s’agira en outre d’être particulièrement attentif aux différentes règles applicables en cas d’opérations transfrontalières sur dérivés du fait de l’interaction entre la LIMF et d’autres réglementations étrangères traitant du négoce de dérivés, en particulier EMIR.