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Surveillance des marchés financiers

La fin du Supervisory Privilege imposé par la FINMA

Dans un arrêt 2C_1058/2014 du 28 août 2015, le Tribunal fédéral a jugé que la FINMA ne pouvait pas, faute de base légale, faire interdiction aux assujettis de communiquer le contenu de ses décisions, y compris leur existence même, sans son consentement préalable. Dans la décision en question qui datait d’août 2013, la FINMA avait, entre autres, ordonné à la Bank Frey & Co. AG de se séparer de sa clientèle américaine le plus rapidement possible en veillant à ne pas accroître ses risques légaux et de réputation et expressément fait interdiction à la banque de transmettre ou donner accès au contenu de sa décision à des tiers sans son consentement. La banque interjeta recours contre la décision de la FINMA, puis, quelques semaines plus tard annonça publiquement qu’elle cesserait toute activité bancaire. Sur cette base, la FINMA conclut dans sa prise de position que le recours était devenu sans objet. La banque se rallia à cette conclusion sous réserve de l’interdiction de communiquer. C’est dans ces circonstances que le tribunal administratif fédéral, puis le tribunal fédéral, eurent à connaître de la pratique de la FINMA en matière d’interdiction de communiquer, aussi connue par le terme de supervisory privilege.

Le Tribunal fédéral considéra qu’imposer à un administré une interdiction de communiquer constitue une atteinte au droit à l’autodétermination en matière d’information (informationelle Selbstbestimmungsrecht) garantie par l’art. 13 Cst. et à la liberté d’expression (art. 16 Cst.) et, à ce titre, suppose une base légale. Pour justifier sa pratique, la FINMA invoqua, premièrement, le secret de fonction ancré à l’article 14 LFINMA en conjonction avec l’article 320 CP, deuxièmement, l’article 22 LFINMA sur l’information du public et enfin les articles 40 et 42 LFINMA sur l’entraide administrative suisse et internationale. Le Tribunal fédéral rejeta cette argumentation en mettant en évidence que seule la FINMA, ses employés et organes sont destinataires de ces normes qui n’ont pas pour objet d’empêcher les assujettis de communiquer le contenu de décisions qui les concernent. Tout au plus, serait-il, aux yeux de la haute cour, admissible de reconnaître, sans base légale, une interdiction de communiquer temporaire destinée à protéger le secret de l’enquête comme elle l’avait reconnue en matière pénale avant que le CPP ne prévoie une base légale formelle à cette fin aux art. 73 al. 2 et 165 CPP. En revanche, vu l’intensité de l’atteinte, le Tribunal fédéral considéra qu’il est nécessaire de disposer une base légale pour imposer une interdiction pour une durée illimitée.

Cela dit, le Tribunal fédéral ne manqua pas de souligner l’existence d’autres cautèles : même si la FINMA ne peut empêcher en bloc la communication d’une décision, un assujetti reste tenu de respecter les normes existantes en matière de protection de données de tiers, de secret bancaire ainsi que l’article 271 CP, s’il décide de communiquer le contenu d’une décision à un tiers.

S’il est vrai que les assujettis peuvent se réjouir de ce rappel bienvenu de l’application du principe de légalité en matière de droit de la surveillance des marchés financiers, le revers de la médaille est moins séduisant pour ces mêmes acteurs : cet arrêt aura une portée pratique importante dans le cadre de procédures transfrontières. Bien qu’il ne s’applique pas aux décisions contre lesquelles les assujettis n’ont pas fait recours et qui sont déjà entrées en force, il empêchera la FINMA de se prononcer pour le future de nouvelles interdictions de communiquer. Or, ne pouvant plus s’abriter derrière l’interdiction de communiquer de la FINMA, les assujettis devront décider seuls s’ils entendent, moyennant le respect de la LPD et de l’art. 271 CPS, communiquer une décision de la FINMA contenant des informations à charge les concernant à une autorité étrangère, sachant que leur détermination sera prise en compte par les autorités étrangères, par exemple le U.S. Department of Justice, pour juger si l’assujetti a pleinement collaboré à l’enquête et mérite une atténuation de sa peine.

De façon plus générale, cet arrêt devrait donner à réfléchir sur l’opportunité de prévoir une base légale expresse protégeant les communications entre la FINMA et les assujettis. Il s’agit en effet de garantir dans l’intérêt de l’effectivité de la surveillance des marchés financiers que les assujettis puissent communiquer ouvertement avec leur autorité de surveillance sans devoir craindre que des tiers ou d’autres autorités suisses ou étrangères puissent leur demander de leur remettre « volontairement » ces informations sans recourir aux voies de droit prévues par la loi. L’institution du supervisory privilege opposable aux assujettis ne repose, en Suisse, sur aucune base légale ; ce n’est pas le cas ailleurs.