Prospectus d’émission
Regards croisés sur le projet LSFin et le nouveau règlement Prospectus de l’UE
Hristina Stoyanova
L’environnement économique actuel, l’intérêt de plus en plus marqué des sociétés de se financer sur les marchés financiers, la contraction du crédit bancaire, ainsi que la volonté croissante d’une uniformisation des normes régissant les services financiers, ont poussé les législateurs suisse et européen à édicter de nouvelles règles sur le prospectus d’émission. Cette contribution vise à esquisser l’évolution du droit suisse et du droit de l’UE en ce qui concerne le contrôle ex ante (art. 53 ss P-LSFin) et la dispense de publier un prospectus selon le type d’offre (art. 38 P-LSFin).
Le prospectus permet de fournir des informations sur l’émetteur en vue de renforcer la libre concurrence et d’assurer une meilleure protection des investisseurs. Au niveau européen, un nouveau règlement (UE) 2017/1129 relatif au prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé est entré en vigueur le 14 juin 2017. Il remplace et abroge la directive Prospectus 2003/71/CE du 4 novembre 2003. L’objectif principal poursuivi par la réforme est de fournir un assouplissement du cadre juridique et une application uniforme des normes dans l’ensemble de l’UE. En outre, l’adoption de nouvelles règles par voie de règlement, applicable directement dans le droit interne de chaque Etat membre, permet de limiter les divergences nationales et de renforcer la sécurité juridique.
En droit suisse, les règles relatives au prospectus d’émission sont actuellement dispersées dans le Code des obligations (CO) et dans la loi sur les placements collectifs de capitaux (LPCC). Dans un souci de simplification juridique, le projet LSFin prévoit de les transférer dans un acte législatif unique. L’une des principales modifications envisagée concerne le contrôle ex ante du prospectus par une autorité administrative (art. 53 P-LSFin) au bénéfice d’un agrément de la FINMA (art. 54 P-LSFin). Au niveau européen, ce contrôle au préalable se trouve à l’art. 20 par. 1 du règlement Prospectus. Toutefois, si cette exigence existait déjà en droit de l’UE depuis la directive 2001/34/CE du 28 mai 2001, elle est nouvelle en droit suisse. Le nouveau dispositif du P-LSFin permet ainsi de rapprocher le droit suisse du droit de l’UE, en favorisant l’égalité de traitement entre les investisseurs suisses et européens.
Un autre point important de la réforme concerne les catégories d’exceptions à l’obligation de publier un prospectus (art. 38 et 39 P-LSFin). En droit de l’UE, l’art. 1 par. 4 du nouveau règlement Prospectus régit cette question. Or, les seuils applicables pour la dispense selon le type d’offre ont été significativement revus à la hausse par rapport à ce qui était prévu dans la directive de 2003. Il sied donc de comparer le projet LSFin avec ces nouvelles dispositions du droit de l’UE pour voir dans quelle mesure le droit suisse deviendra euro-compatible.
L’art. 38 al. 1 let. e P-LSFin, dans sa version proposée par le Conseil fédéral, prévoit un seuil d’une valeur totale de 100’000 CHF, calculée sur une période de 12 mois, ce qui est une reprise pratiquement littérale de l’art. 3 par. 2 let. e de la directive Prospectus. Cependant, le seuil de 100 000 EUR ne figure plus en droit de l’UE. Le considérant 13 du règlement Prospectus dispose que « (…) les États membres devraient pouvoir définir dans leur droit national un seuil, compris entre 1 000 000 EUR et 8 000 000 EUR et exprimé comme étant le montant total de l’offre dans l’Union sur une période de douze mois (…) ». Or, le relèvement des seuils est significatif. Lors de sa séance du 13 septembre 2017, le Conseil national a suivi cette tendance en votant une proposition consistant à rehausser le seuil à 2,5 millions CHF. Cela étant, c’est un recul considérable en termes de protection des investisseurs ordinaires, surtout au niveau européen, car si certains Etats appliquent le seuil de 8 000 000 EUR à partir du 21 juillet 2018, il y aura un écart de 7 900 000 EUR entre le nouveau régime et le régime qui a prévalu sous l’ancienne directive Prospectus.
La disposition relative au nombre maximal d’investisseurs pour renoncer au prospectus (art. 38 al 1 let. B P-LSFin) a également fait l’objet d’une proposition divergente du Conseil national. Ce dernier a porté le nombre d’investisseurs de 150 à 500, en s’écartant de la proposition du Conseil fédéral et du seuil prévu à l’art. 1 par. 4 let. b du nouveau règlement de l’UE. Il est permis de se demander si cela serait considéré comme euro-compatible. Néanmoins, l’écart reste raisonnable compte tenu des objectifs de favoriser le développement des activités de « crowdfunding » et d’innovation en Suisse.
Une dernière disposition du projet LSFin doit encore être examinée à la lumière du droit de l’UE. Il s’agit de la dispense en cas d’« offre de valeurs mobilières adressée à des investisseurs qui acquièrent ces valeurs pour un montant total d’au moins 100 000 EUR par investisseur et par offre distincte » (art. 1 par. 4 let. d règlement Prospectus). Le projet LSFin contient à l’art. 38 let. c une règle assez proche de celle du règlement. Toutefois, il ne reprend pas l’exigence européenne de valeur minimale « par investisseur et par offre distincte ». Sur ce point, selon l’interprétation du texte législatif, l’exception à l’obligation de publier un prospectus pourrait être moins contraignante en droit suisse qu’en droit de l’UE.