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Séquestre pénal

Réalisation anticipée d’actifs séquestrés

Dans l’arrêt BB.2017.199 du 3 avril 2018, le Tribunal pénal fédéral confirme sa jurisprudence selon laquelle des actifs séquestrés doivent en principe être immédiatement réalisés lorsqu’ils sont cotés en bourse ou sur le marché (art. 266 al. 5 CPP).

Le Ministère public de la Confédération ouvre une instruction pour blanchiment d’argent aggravé (art. 305bis al. 2 CP) et corruption d’agents publics étrangers (art. 322septies CP). Dans ce cadre, il ordonne le séquestre des titres et métaux précieux déposés par le prévenu auprès d’une banque helvétique.

Le 26 octobre 2017, le Ministère public de la Confédération ordonne la réalisation anticipée des valeurs patrimoniales précitées (art. 266 al. 5 CPP). Le prévenu interjette recours contre le prononcé, au motif que celui-ci violerait la garantie de la propriété (art. 26 Cst.), l’art. 266 al. 5 CPP, ainsi que l’ordonnance sur le placement des valeurs patrimoniales séquestrée du 3 décembre 2010 (O-PI).

En droit, le Tribunal pénal fédéral rappelle que des actifs séquestrés doivent en principe être conservés tels quels lors de la procédure pénale ; leur sort n’est tranché que dans le cadre du jugement (art. 267 al. 3 CPP). L’art. 266 al. 5 CPP institue toutefois une exception à ce principe : « les objets sujets à une dépréciation rapide ou à un entretien dispendieux ainsi que les papiers-valeurs et autres valeurs cotées en bourse ou sur le marché peuvent être réalisés immédiatement ». Le produit de la vente est alors frappé de séquestre (art. 266 al. 5 CPP in fine).

La conservation des actifs séquestrés est régie par l’O-PI. En vertu de l’art. 1 de cette brève ordonnance, « dans toute la mesure du possible, les valeurs patrimoniales séquestrées sont placées de manière que le placement soit sûr, qu’elles ne se déprécient pas et qu’elles produisent un rendement ». De jurisprudence constante, le Tribunal pénal fédéral estime que l’art. 1 O-PI oblige l’autorité pénale à conserver la valeur réelle du capital séquestré. A cet égard, la simple gestion conservatoire des actifs est insuffisante ; le patrimoine doit être soustrait aux aléas de la bourse et du marché. Ainsi, quand bien même l’art. 266 al. 5 CPP est-il formulé de manière potestative, l’autorité pénale doit réaliser les actifs séquestrés lorsque les conditions de cette disposition sont réunies, à savoir :

(i) les valeurs patrimoniales sont « cotées en bourse ou sur le marché » ou constituent « des objets sujets à une dépréciation rapide ou à un entretien dispendieux » ; et

(ii) les exigences relatives à la restriction de la garantie de la propriété, ancrées à l’art. 36 Cst., sont satisfaites (base légale, intérêt public, proportionnalité).

Le Tribunal pénal fédéral restreint toutefois la portée de la seconde condition, puisqu’il estime que l’éventuelle perte subie suite à la réalisation anticipée des actifs est compensée par la stabilité de la monnaie helvétique obtenue en contrepartie.

Dans le cas d’espèce, les juges constatent que la valeur des titres séquestrés s’est effondrée depuis leur acquisition par le prévenu. Quant aux métaux précieux, ceux-ci sont soumis « par [leur] nature à un risque élevé de fluctuations » (consid. 4.1). La réalisation des actifs est donc l’unique mesure susceptible de soustraire le patrimoine séquestré au risque de marché. Elle constitue par ailleurs une atteinte admissible aux droits du prévenu, qui pourra racheter des valeurs patrimoniales identiques en tout temps. Par conséquent, le recours est rejeté.

La pratique, confirmée par cet arrêt, facilite certes la tâche des autorités pénales, qui n’ont pas à se muer en analystes financiers. Elle pourrait cependant avoir de lourdes conséquences pour un prévenu finalement acquitté. En effet, certains arrêts semblent s’écarter de la notion de responsabilité causale de l’Etat pour le dommage économique subi au titre de la participation obligatoire à la procédure, puisqu’ils exigent une faute de l’autorité dans la gestion du patrimoine séquestré (par ex. : SK.2014.2, consid. 8 ; art. 429 al. 1 let. b CPP). Or, au vu de ce qui précède, une faute ne sera que rarement retenue en cas de réalisation anticipée d’actifs cotés en bourse. Il reste donc au prévenu injustement mis en cause à espérer que ses déboires judiciaires ne coïncideront pas avec une brusque chute des marchés financiers.