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Blanchiment d'argent

Violation par un membre d’un organe collégial de l’obligation de communiquer

Les membres d’un organe collégial compétent pour procéder à des communications selon l’art. 9 LBA sont individuellement punissables en cas de contravention à l’art. 37 LBA. Le Tribunal fédéral l’a récemment affirmé dans un arrêt 6B_1332/2018 du 28 novembre 2019 (non destiné à la publication).

I.       Contexte

Les poursuites pénales engagées par le Département fédéral des finances (DFF) sont généralement dirigées contre les personnes physiques en charge de procéder aux communications au sein d’intermédiaires financiers. Il s’agira en principe de l’auteur direct (art. 6 al. 1 DPA) à savoir la personne responsable de procéder à la communication selon la répartition interne des compétences, ou qui assume une telle responsabilité dans les faits (cf. TPF, jugement SK.2017.54, du 19 décembre 2017, consid. 2.2.4.3, commenté par Katia Villard, cdbf.ch/994/). Le DFF ne s’intéresse en revanche que rarement à l’entreprise elle-même, dont la responsabilité pénale est subsidiaire (cf. art. 49 LFINMA ; TPF, jugement SK.2018.47 du 26 avril 2019, commenté par Katia Villard, cdbf.ch/1076/).

Dans ce contexte, les directives internes revêtent une importance toute particulière, puisque c’est généralement à la lumière de ces dernières (cf. p. ex. art. 26 al. 2 let. g OBA-FINMA) que le DFF tentera d’identifier les personnes punissables. Il arrive cependant que cette compétence soit dévolue à un organe collégial (cf. p. ex. art. 25a OBA-FINMA entré en vigueur le 1er janvier 2020).

Dans cette hypothèse, se pose la question de savoir si, en cas de contravention à l’art. 37 LBA, chacun des membres de cet organe peut être tenu individuellement responsable. Le TF y a récemment répondu par l’affirmative.

II.      Faits

En substance, le DFF reprochait à un employé de banque une violation de l’obligation de communiquer des soupçons liés à une relation d’affaires alors qu’il officiait en qualité de chef du service compliance d’une banque (période pré-fusion). Cette violation avait perduré suite à la fusion de cette banque avec une autre, l’employé concerné officiant alors en qualité de responsable du département Legal & Compliance (période post-fusion). L’affaire avait ceci de singulier que pendant la période pré-fusion, l’employé n’était pas seul compétent pour effectuer une communication, cette tâche revenant à un comité de due diligence dont il était membre.

Selon la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral, cette circonstance ne permettait pas de pouvoir imputer une responsabilité individuelle à l’employé concerné pendant la période pré-fusion (cf. TPF, jugement SK.2018.15 du 18 octobre 2018).

Statuant sur recours du DFF, le TF a désavoué le TPF sur ce point, en retenant que la compétence du comité en matière de communication n’excluait pas la responsabilité de l’employé en sa qualité de membre dudit comité. Suivant l’argumentaire du DFF, le TF s’est appuyé sur un considérant de la jurisprudence Von Roll selon lequel les membres d’un organe responsable d’une organisation adéquate peuvent être individuellement recherchés en cas de carence organisationnelle ayant entraîné survenance de la violation au sein de l’entreprise (ATF 122 IV 103, consid. VI.2/c/bb p. 129). Le TF a ainsi renvoyé l’affaire au TPF pour réexamen.

III.     Discussion

L’arrêt 6B_1332/2018 précité rappelle que la responsabilité du chef d’entreprise –Geschäftsherrenhaftung (art. 6 al. 2 et 3 DPA) – n’est pas limitée aux organes dirigeants mais peut également s’attacher aux membres d’un organe subalterne fonctionnellement compétent. Les membres de la haute direction (art. 25a OBA-FINMA) ne s’en trouvent cependant pas mieux lotis puisque – jurisprudence Von Roll oblige des carences organisationnelles pourraient dans certains cas leur être pénalement reprochées.

Plus problématique, cet arrêt laisse ouverte la question de savoir si un membre d’un tel organe qui se serait par hypothèse exprimé en faveur d’une communication, mais qui n’aurait pas été suivi par la majorité des autres membres, pourrait devoir répondre pénalement de la décision prise collectivement. Cette incertitude place chacun des membres minorisés devant le dilemme suivant : respecter la décision collective au risque de se voir poursuivi par le DFF, ou alors procéder à une communication en son propre nom afin de pallier tout risque de se voir reprocher une violation de l’art. 9 LBA au risque de se voir reprocher une violation de ses obligations contractuelles (cf. Andrew Garbarski/Alain Macaluso, Violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent (art. 37 LBA) – les membres de l’organe collégial peuvent devoir en répondre individuellement, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 11 décembre 2019).

Cette dernière solution nous semble toutefois devoir être rejetée.

L’on ne devrait en effet pas exiger d’un membre minorisé qu’il effectue dans son coin une communication « sauvage ». Une telle communication serait a priori inefficace, le MROS n’étant pas habilité à traiter de communications effectuées par personnes agissant à titre personnel à l’instar d’un Whistleblower (cf. art. 2 OBCBA a contrario). La situation présente à cet égard des similitudes avec celle d’un membre du conseil d’administration qui souhaiterait aviser le juge d’un surendettement mais qui ne serait par hypothèse pas suivi par ses pairs. Or, la doctrine considère dans un tel cas que le membre dissident ne devrait pas avoir besoin d’effectuer une notification individuelle pour éviter de se voir reprocher une gestion fautive (art. 165 CP) en cas de faillite subséquente, précisément en raison de l’inefficacité d’une telle notification (Ursula Cassani, Sur qui tombe le couperet du droit pénal ? Responsabilité personnelle, responsabilité hiérarchique et responsabilité de l’entreprise, in : Journée 2008 de droit bancaire et financier, L. Thévenoz/C. Bovet [édit.], Publication du Centre de droit bancaire et financier [CDBF], Zurich 2009, 53 ss, 59 s.).

Enfin, il n’est pas certain qu’une communication effectuée à titre personnel dans ces circonstances puisse être considérée comme ayant été faite de bonne foi au sens de l’art. art. 3 CC (cf. ATF 143 III 653 , consid. 4.3.3, commenté par Nicolas Béguin, cdbf.ch/993/), et donc bénéficier de l’exclusion de responsabilité prévue par l’art. 11 al. 1 LBA. En procédant à une communication individuelle, un membre dissident s’exposerait ainsi à un autre risque pénal, à savoir une violation du secret bancaire (art. 47 LB).