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Contrats bancaires

Banque restante et preuve de détournement de fonds

Alors que le tribunal zurichois avait rejeté l’action contre la banque d’un client victime de détournement de fonds, le Tribunal fédéral autorise le client à apporter certains éléments de preuve à l’appui de son action (4A_386/2019).

Un client russe allègue que son conseiller et employé de sa banque suisse aurait détourné environ EUR 2.8 mios de son compte auprès de cette banque. L’employé, qui avait également détourné des montants au détriment d’autres clients, est condamné pénalement à Genève pour abus de confiance et faux dans les titres (l’arrêt de la Cour de justice ayant été depuis partiellement annulé par le Tribunal fédéral, sans cependant que cela apparaisse matériellement pertinent). Le client dépose à Zurich une demande civile contre la banque, action rejetée par le Handelsgericht zurichois.

Par arrêt du 26 mai 2020, le Tribunal fédéral annule le jugement du Handelsgericht zurichois et renvoie le dossier pour instruction à l’instance cantonale.

Le client avait formulé son action sous forme d’une demande en dommages-intérêts, alors qu’il s’agissait logiquement d’une action en exécution du contrat (les montants litigieux n’ayant par hypothèse pas été valablement débités). Le Handelsgericht zurichois avait exprimé des doutes sur la possibilité de transformer l’action en dommages-intérêts en une action en exécution, mais semble avoir laissé la question ouverte. Le Tribunal fédéral ne se prononce pas sur ce point, qui n’avait pas été contesté devant lui. Ces hésitations paraissent étonnantes : en droit suisse, l’objet du litige n’est‑il pas défini exclusivement par les conclusions, qui étaient ici de simples conclusions en paiement ?

Le Handelsgericht zurichois avait rejeté l’action notamment en relevant l’absence de réclamation du client à temps et en considérant que l’invocation par la banque de la clause de banque restante n’était pas abusive.

Le Tribunal fédéral rappelle la validité de principe de la clause de banque restante, de la fiction de notification et de la fiction d’approbation (à défaut de ces clauses, ce serait sinon à la banque de prouver que les montants débités du compte l’ont été conformément à des instructions valables du client). Le Tribunal fédéral rappelle ensuite sa jurisprudence et les conditions auxquelles l’invocation de cette clause de banque restante peut être abusive (pour un exemple de clause appliquée Laurent Hirsch, cdbf.ch/1085, pour un exemple de clause non-appliquée Célian Hirsch, cdbf.ch/1028), en particulier lorsque la banque savait que le client n’approuvait pas les transactions en question (sur la base de la connaissance qu’en avait son auxiliaire, qui est imputable à la banque).

Dans le cas particulier, le Tribunal fédéral, comme le Handelsgericht zurichois, considère que l’invocation des fictions de notification et d’approbation serait abusive s’il était prouvé que l’employé de la banque et conseiller du client avait détourné les fonds en sa propre faveur (respectivement en faveur de sa femme). Le Tribunal fédéral s’étonne que la question se pose encore dans le procès civil, alors que l’employé de banque a été condamné pénalement. Cela étant, l’analyse de l’instance cantonale quant à la liberté du juge civil par rapport au jugement pénal n’avait pas été mise en cause par le recourant.

Le Tribunal fédéral critique finalement l’analyse du Handelsgericht sous l’angle de la preuve de l’absence d’instructions des transferts litigieux. Le client soutenait qu’il avait passé tous ses ordres par écrit et par fax et que les 21 autres ordres n’étaient pas les siens. S’agissant d’un fait négatif (l’absence d’instructions légitimes), la banque a une obligation de contestation et une obligation de coopération. Or il ne ressortait pas du jugement cantonal que la banque aurait prouvé que le client aurait passé un seul ordre autrement que par écrit et par fax. La contestation par le client de 21 transactions litigieuses apparaissait ainsi plausible. Dès lors, le client devait être autorisé à apporter d’autres éléments de preuve à l’appui de son allégué relatif à l’absence d’instructions des transferts litigieux. Le Tribunal fédéral n’admet pas que l’action du client puisse être rejetée pour défaut de preuve, alors que le client avait proposé des éléments de preuve pertinents, que le Handelsgericht ne pouvait pas écarter sans autre.

Le client avait offert comme moyen de preuve le témoignage d’une employée du service compliance. Le Tribunal fédéral considère que l’on ne peut pas d’emblée exclure qu’un tel témoignage puisse permettre de prouver l’absence d’instructions du client, ce d’autant plus que le Handelsgericht n’expliquait pas le raisonnement l’amenant à considérer un tel témoignage sans pertinence dans les circonstances concrètes du cas d’espèce.

Le recourant sollicitait également la déposition des parties (art. 192 CPC). Le Tribunal fédéral lui donne également raison sur ce point. Dans la mesure où la loi reconnaît ce moyen de preuve, il n’est pas possible d’exclure sa pertinence simplement parce qu’une telle déposition aurait un poids insuffisant, un tel raisonnement ne pouvant éventuellement être justifié qu’après une telle déposition, mais en tout cas pas pour l’exclure d’emblée.

Cet arrêt du Tribunal fédéral démontre les difficultés procédurales pour le client cherchant à être indemnisé par sa banque, même après avoir obtenu gain de cause au pénal, et la nécessité de procéder conséquemment avec grande rigueur, tant dans la formulation des allégués que dans les développements juridiques (même si le juge peut appliquer le droit d’office). Cet arrêt rappelle heureusement l’importance du droit à la preuve et les limites de l’appréciation anticipée des preuves pour rejeter des moyens de preuve.