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Affaire 1MDB

Le TF confirme (à nouveau) une interdiction d’exercer de 3 ans

L’arrêt du Tribunal fédéral 2C_747/2021 du 30 mars 2023 décrit de manière intéressante le rattachement entre les violations des devoirs de diligence en matière de lutte contre le blanchiment et le prononcé d’une interdiction d’exercer au sens de l’art. 33 LFINMA.

Le 23 mai 2016, la FINMA a ouvert une procédure d’enforcement contre Bruno qui travaillait en qualité de Head of Legal & Compliance au sein de la Banque de la Suisse Italienne (BSI). Au terme de la procédure d’enforcement, la FINMA a prononcé contre Bruno une interdiction d’exercer pour une durée de 3 ans (art. 33 LFINMA). Le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours déposé par Bruno le 29 juillet 2021 et mis à sa charge les frais de procédure de CHF 25’000.- (affaire TAF, B-7186/2018). Bruno a alors interjeté recours auprès du Tribunal fédéral.

La FINMA lui reproche d’avoir gravement violé ses devoirs de diligence en matière de lutte contre le blanchiment d’argent en lien avec des comptes ouverts pour des clients du fonds malaisien 1MDB.

Bruno fait valoir devant le Tribunal fédéral des griefs procéduraux et de droit matériel.

Sous l’angle procédural, Bruno fait valoir que la procédure d’enforcement constitue une accusation pénale au sens de l’art. 6 CEDH et se plaint de la violation (i) de la présomption d’innocence, (ii) du droit de l’accusé à ne pas devoir s’auto-incriminer et (iii) du droit à poser des questions à décharge.

Le Tribunal fédéral balaie une nouvelle fois cet argument (cf. ég. ATF 147 I 57 commenté in cdbf.ch/1111/). Il estime notamment que le but poursuivi par l’art. 33 LFINMA est de restaurer la confiance du public et non de réprimer son destinataire. Par ailleurs, il considère que le fait que la procédure d’enforcement en cours puisse avoir des répercussions sur la situation professionnelle de Bruno résulte de la réalité du marché du travail et non de la nature juridique de la procédure.

Bruno tente ensuite de faire valoir que l’exposé des faits par l’instance inférieure est incorrect. Sans rentrer dans le développement du Tribunal fédéral, ce dernier retient que s’il est vrai que Bruno n’était pas désigné formellement comme le General Counsel de la banque, il avait sous ses ordres directs le Head of Compliance qui avait dirigé l’unité KYC Risk, laquelle était désignée comme le service spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d’argent de la banque.

Les griefs relatifs à une violation de ses droits procéduraux s’avèrent donc infondés.

Le Tribunal fédéral examine successivement trois griefs matériels : (i) l’application territoriale de la LBA, (ii) la violation, par la banque, des obligations ancrées à l’art. 6 et 9 LBA pour la période pertinente (2011 et 2015) et (iii) l’imputation de ces violations à Bruno.

Le TF commence par confirmer l’applicabilité ratione loci de la LBA. Les comptes du Fonds étaient certes ouverts dans les livres de la succursale singapourienne de la banque, mais la fonction KYC Risk, en tant qu’unité de compliance pour le groupe, était basée en Suisse. Or, cette unité de la banque avait fourni une évaluation positive pour l’ouverture des comptes. Sur la question du rattachement territorial de la LBA, on rappellera que dans un arrêt 2C_192/2019 du 11 mars 2020, commenté par Katia Villard (cdbf.ch/1127/), le TF avait considéré que le lien avec la Suisse était donné, car les relations d’affaires en question avaient été suivies par une conseillère à la clientèle en Suisse.

Aux considérants 10 et 11 de l’arrêt, le TF confirme que la banque a gravement violé l’art. 6 LBA (obligation de diligence particulière) et l’art. 9 LBA (obligation de communiquer). Il relève notamment que l’appréciation globale de la relation d’affaires et l’examen de plausibilité doivent également tenir compte de la destination des fonds sortants. En ce qui concerne l’obligation de communiquer, le TF souligne que certes que la notion de soupçon fondé fait l’objet de controverses doctrinales, mais rappelle que l’on est en présence d’un soupçon fondé lorsque des soupçons initiaux (fondés ou non) ne peuvent être écartés par des clarifications supplémentaires.

Le Tribunal fédéral examine finalement si ces violations sont imputables à Bruno.

En l’espèce, le TF retient que Bruno en tant que responsable Legal & Compliance intervenait dans la chaîne d’autorisation pour l’ouverture des relations d’affaires. Le fait que d’autres unités de la banque (même hiérarchiquement supérieure) aient dû donner leur autorisation avant l’ouverture des comptes incriminés ne joue aucun rôle puisqu’en l’occurrence, seules les obligations de Bruno font l’objet d’un examen. Par ailleurs, le fait que la société d’audit n’ait pas constaté de violation grave du droit de la surveillance ou que la FINMA ne soit pas intervenue après la conclusion du rapport de la société d’audit n’est pas pertinent. Le TF souligne à juste titre que l’absence de réaction de la FINMA n’a pas pour effet de « décharger » la banque des faits examinés, ni de créer une base de confiance en ce sens que les parties concernées pouvaient partir du principe que leurs actes étaient conformes au droit.

Enfin, le TF considère que les recours portant exclusivement sur des questions relatives au prononcé d’une interdiction d’exercer sont des contestations dites « non pécuniaires ». Maigre consolation pour Bruno, le Tribunal fédéral réforme ainsi l’arrêt attaqué sur la question des émoluments en les réduisant de CHF 25’000.- à CHF 5’000.-.

À l’exception de ce point, tous les griefs de Bruno sont rejetés par le Tribunal fédéral qui confirme l’arrêt du TAF.

Cet arrêt rappelle qu’en cas de violation des devoirs LBA, la personne visée s’expose à une dénonciation pénale au DFF et à une procédure d’enforcement dont les conséquences économiques et personnelles peuvent s’avérer désastreuses. La bonne coordination des deux procédures doit ainsi demeurer au cœur des préoccupations des praticiens.