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Escroquerie en matière d'investissement

L’investisseur inexpérimenté qui place ses économies dans une start-up ou une crypto-monnaie doit en assumer les risques

Investir ses économies dans une start-up ou dans une crypto-monnaie comporte des risques. Si le placement s’avère finalement infructueux, l’investisseur peut-il se plaindre d’une escroquerie pour tenter de récupérer sa mise ? Dans un arrêt définitif du 21 mars 2023 (ACPR/206/2023), la Cour de justice genevoise répond par la négative et rejette les recours d’une vingtaine d’investisseurs malheureux s’estimant dupés.

Un groupe de sociétés (baptisé « S ») développe un système de paiement utilisable à l’aide d’une carte de fidélité auprès de divers commerçants. Pour tout achat effectué avec la carte, le client perçoit un pourcentage sous forme de rétrocession. Il peut ensuite utiliser les avoirs cumulés auprès des commerçants affiliés au réseau S.

Le groupe offre également des « packs », soit des lots de cartes de fidélité permettant de devenir un « agent-distributeur » en promouvant le programme et en parrainant de nouveaux adhérents en l’échange de commissions. Un pack coûte jusqu’à CHF 5’000.

Il est aussi proposé d’investir dans des actions du groupe, ou dans une « crypto-monnaie » dont on apprend à la lecture de l’arrêt qu’il s’agissait plutôt d’un autre type d’instrument financier (non précisé), également « extrêmement volatile ».

Pour attirer des clients, les dirigeants du groupe S s’adressent à des petits commerçants ou à des particuliers, sans expérience dans le domaine financier ou les nouvelles technologies, auxquels ils présentent leur système de fidélité comme une idée révolutionnaire, par le biais de leur site internet, de brochures et autres newsletters. Ils font également appel à des associations professionnelles influentes pour promouvoir leur produit, notamment dans le cadre de conférences.

Une vingtaine de particuliers inexpérimentés en matière financière (un restaurateur, une assistante médicale, un chauffeur de taxi, une hypnothérapeute, etc.) se laisse convaincre et investit des montants conséquents – parfois près de CHF 100’000 – dans les différents produits proposés (packs, actions ou crypto-monnaie).

Malheureusement pour eux, le programme de fidélité, présenté comme un véritable bouleversement technologique, se transforme en échec commercial. Les packs ne rapportent rien (ou presque) et les actions, de même que la crypto-monnaie, perdent toute valeur. Plusieurs sociétés du groupe se retrouvent en liquidation.

Désabusés, les investisseurs déposent plainte pénale à l’encontre des dirigeants du groupe S et des sociétés (art. 102 CP), en expliquant avoir été victimes d’une escroquerie (art. 146 CP). Le Ministère public genevois considère toutefois que les éléments constitutifs ne sont pas réalisés et rend une ordonnance de non-entrée en matière (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Sur recours, la Cour de justice rappelle que l’escroquerie suppose que l’auteur trompe sa victime en usant d’astuce. La tromperie prend par exemple la forme d’affirmations fallacieuses ou d’une dissimulation de faits vrais. Quant à l’astuce, celle-ci suppose un édifice de mensonges, des manœuvres frauduleuses, ou à tout le moins la communication de fausses informations, si leur vérification n’est pas possible ou ne peut raisonnablement être exigée.

En revanche, l’astuce est exclue si la victime pouvait se protéger avec un minimum d’attention ou éviter l’erreur avec le minimum de prudence que l’on pouvait attendre d’elle. Son degré d’expérience dans le domaine concerné doit être pris en considération.

Dans le cas d’espèce, les plaignants allèguent avoir été amenés à investir dans le programme de fidélité du groupe S par l’acquisition de packs, d’actions ou de crypto-monnaie, après avoir été trompés par des affirmations fallacieuses et astucieuses. Ils reprochent aux dirigeants du groupe de leur avoir fait miroiter des profits substantiels, alors que les perspectives de gain étaient en réalité inexistantes et que le business model était d’emblée voué à l’échec.

La Cour ne l’entend pas de cette oreille.

Elle constate que le programme de fidélité promu par le groupe S était parfaitement fonctionnel, mais que celui-ci avait simplement souffert d’un manque d’affiliation par les commerçants et leurs clients. Les dirigeants du groupe avaient investi d’importants moyens pour développer leur offre, ce qui démontre qu’ils ne la percevaient pas comme vouée à l’échec.

En réalité – et c’est là le cœur du raisonnement de la Cour –, les plaignants ne pouvaient objectivement ignorer que l’acquisition d’un produit nouveau, développé par une start-up, impliquait un certain risque. Par ailleurs, la perspective d’obtenir un retour sur investissement, de surcroît rapidement, n’était pas garantie. Le succès du système de fidélité dépendait de l’ampleur du réseau, de sorte qu’il existait nécessairement un paramètre d’incertitude et de risque. Le même raisonnement vaut pour l’acquisition d’actions du groupe et, à plus forte raison encore, pour l’investissement dans la crypto-monnaie.

En d’autres termes, la Cour reproche aux plaignants, qui ne bénéficiaient d’aucune expérience dans le domaine financier, de s’être laissés aveugler par la perspective de gains aisés sans faire preuve de la précaution élémentaire qui pouvait être exigée d’eux, soit notamment le recours à des conseils préalables auprès de professionnels du domaine. L’ordonnance de non-entrée en matière est par conséquent confirmée.

Les considérants – relativement sévères – de cet arrêt sont susceptibles de s’appliquer à un large spectre d’investissements financiers. Ils constituent une piqûre de rappel utile à l’attention des investisseurs – en particulier s’agissant de ceux qui ne disposent pas de connaissances particulières dans le domaine financier – à une époque où l’offre en matière de crypto-monnaies et autres start-ups de technologie financière est plus importante que jamais et où les perspectives de gains aisés n’ont parfois d’égal que les risques de pertes abyssales qui peuvent en découler.