A blast from the past
Responsabilité de la banque en lien avec les produits structurés émis par Lehman Brothers

Philipp Fischer
15 ans après l’effondrement de Lehman Brothers et 13 ans après les rapports de la FINMA « Affaire Madoff et distribution de produits Lehman : incidences sur les activités de conseil en placement et de gestion de fortune » et « Distribution de produits financiers aux clients privés » , la déconfiture de la banque d’investissement Lehman Brothers revient sur les devants de la scène judiciaire suisse.
Une banque doit-elle indemniser un client qui a subi une perte financière en lien avec des produits structurés émis par Lehman Brothers que la banque lui avait conseillés ? Le Tribunal fédéral répond – assez sèchement – par la négative dans l’arrêt 4A_329 2021 du 30 mars 2023.
L’état de fait peut se résumer de la manière suivante : deux sœurs tessinoises sont titulaires d’un compte joint et ont investi en 2007, sur conseil de leur chargé de relations, dans des produits structurés émis par Lehman Brothers. La faillite de la banque américaine en 2008 a engendré une importante perte financière pour les deux clientes.
Après le rejet de leur action au niveau cantonal, les sœurs déposent un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Elles estiment que la banque est responsable du dommage subi, car (i) les parties seraient liées par un contrat de gestion de fortune et (ii) les clientes n’auraient pas bénéficié d’une information suffisante.
En premier lieu, le Tribunal fédéral rappelle la distinction classique entre la gestion de fortune et le conseil en placement, en insistant sur la partie qui prend la décision d’investissement, soit le prestataire de services financiers dans le cadre d’un mandat de gestion et le client en cas de mandat de conseil. En l’espèce, la décision d’investissement a été prise par les clientes, ce qui implique une relation de conseil en placement.
Le deuxième grief des recourantes portait sur le devoir d’information. Le Tribunal fédéral rappelle que les règles du mandat (art. 394 ss CO) s’appliquent au contrat de conseil en placement, puis se focalise sur la question du respect du devoir de diligence de l’art. 398 al. 2 CO.
- Ce devoir impose notamment à la banque d’informer son client de tous les éléments essentiels pour la formation de sa volonté. Cette dernière doit notamment l’avertir des risques liés à l’investissement recommandé.
- S’agissant des produits structurés, le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence (cf. notamment arrêt du TF 4A_624/2012, c. 2.1) selon laquelle le produit structuré combine plusieurs instruments financiers, par exemple une obligation et une option, pour en faire un nouveau produit financier. Sa valeur de remboursement dépend de l’évolution d’une ou plusieurs valeurs de base (les « sous-jacents »). Il englobe souvent une opération de taux d’intérêt avec une composante de dérivée. Les produits dits « à capital protégé » garantissent le remboursement du capital investi à l’échéance. L’un des principaux risques qu’encourt l’investisseur dans ce type de placement a trait au risque de crédit lié à l’émetteur (« risque émetteur »).
Appliquant ces principes au cas d’espèce, le Tribunal fédéral retient que le risque dont la matérialisation a conduit à la perte subie par les clientes est le risque émetteur, qui ne nécessitait pas un avertissement spécifique de la part de la banque et qui n’est pas inhérent au produit structuré (vu que, par exemple, une obligation est soumise au même risque). Par ailleurs, les recourantes n’indiquent pas en quoi la remise de la brochure de l’ASB « Risques inhérents au commerce d’instruments financiers » aurait amélioré le niveau d’information des recourantes et entraîné une renonciation aux investissements litigieux.
Sur cette base, le Tribunal fédéral rejette les prétentions des recourantes.
Le praticien reste sur sa faim à la lecture des brefs considérants du Tribunal fédéral. L’on peut toutefois relever les points suivants :
- Même s’il y fait référence (sans citation précise), les considérants du Tribunal fédéral contrastent avec les rapports de la FINMA mentionnés en introduction et qui figurent parmi les moteurs à la base de l’édiction de la LSFin. Le rapport de la FINMA sur la distribution insiste par exemple sur le fait que l’investisseur retail ne comprenait pas nécessairement la portée du risque émetteur, ni du reste l’identité de l’émetteur en cas de produit white-labelled : « Etant donné que la protection du capital de ces produits n’intervient que si la solvabilité des émetteurs de produits est garantie, les acheteurs de ces produits considérés comme sûrs en principe se sont retrouvés avec une perte de leur capital investi » (page 33). L’on ne retrouve nulle trace de l’asymétrie d’information constatée par la FINMA dans l’arrêt commenté ici.
- Le Tribunal fédéral place son analyse des obligations de la banque exclusivement au moment du conseil (c. 4.3.2 : « Ora, nemmeno la ricorrente afferma che il crollo della società emittente era prevedibile nel momento in cui è stata effettuata la consulenza agli investimenti « ). Dans le cadre de ce mandat de conseil en placement (l’état de fait succinct ne permet pas de déterminer s’il s’agissait d’un rapport de « conseil global » ou « conseil transactionnel » selon la terminologie actuellement utilisée aux articles 11 et 12 LSFin), le Tribunal fédéral ne retient – à juste titre – aucune obligation à charge de la banque de suivre les investissements conseillés et d’avertir proactivement les clientes au moment où la situation financière de Lehman Brothers se péjorait.