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Droit de l'actionnaire minoritaire de rejeter une recommandation et délimitation de la contre-prestation acceptable

Le 3 mai 2006, la Chambre des offres publiques d’acquisition de la Commission fédérale des banques a rendu sa décision dans l’affaire Aare-Tessin für Elektrizität, Olten (« Atel »). Cette décision est importante pour le droit suisse des offres publiques d’acquisition pour deux raisons : premièrement, elle reconnaît à l’actionnaire minoritaire le droit de rejeter une recommandation de la Commission des OPA ; deuxièmement, elle limite, très modestement il est vrai, la liberté dont jouit l’acquéreur en matière de choix de la contre-prestation lors d’offres obligatoire.
Cette affaire tourne autour des termes de l’offre publique obligatoire pour les actions d’Atel faisant suite à la vente à un consortium d’une participation majoritaire de la société Motor-Columbus AG (« MC »), une holding financière dont l’actif principal n’est autre qu’une participation majoritaire d’Atel. Selon les termes de cette transaction, le consortium offrait aux actionnaires d’Atel la possibilité d’échanger leur actions Atel contre des actions Motor-Colombus à un rapport d’échange correspondant aux règles sur le prix minimum lors d’offres obligatoires.
AEM S.p.A., Milan (« AEM »), un actionnaire minoritaire d’Atel, a contesté la validité de cette offre. A son avis, celle-ci ne lui donnait pas un droit de sortie effectif, parce qu’en définitive la contre-prestation offerte, les actions de MC, n’étaient rien d’autres que des titres d’Atel sous une autre forme. Cet argument était d’ailleurs renforcé par le fait que le consortium avait prévu de fusionner MC dans Atel par un reverse merger, faisant ainsi des actionnaires de MC juridiquement des actionnaires d’Atel. Après avoir perdu devant la Commission des OPA, AEM a rejeté la recommandation et porté l’affaire devant la Chambre des offres publiques d’acquisition de la Commission fédérale des banques.
La première question sur laquelle cette instance, dans une composition quelque peu insolite, a dû se prononcer concernait le droit d’AEM de rejeter une recommandation, reconnu aux seules parties. En effet, AEM n’avait devant la Commission des OPA qu’une qualité d’intervenante, sans être une véritable partie (art. 53 et 54 de l’ordonnance sur les offres publiques d’acquisition -OOPA-). En même temps, si l’affaire avait été rejetée par une des parties au sens de l’art. 53 OOPA, elle aurait pu jouir pleinement de cette qualité devant la Commission fédérale des banques par le jeu de l’art. 6 de la loi sur la procédure administrative -PA- (ATF 129 II 183, c. 4.2). Considérant que l’approche restrictive de l’OOPA n’avait pour but que de faciliter la gestion de la procédure devant la Commission des OPA mais non de limiter l’accès à la justice des parties au sens de l’art. 6 PA, la Commission fédérale des banques a reconnu à AEM le droit de rejeter la recommandation de la Commission des OPA.
Puis, se tournant vers le fond de l’affaire, la Commission fédérale des banques a donné raison à AEM, sans pour autant désavouer la réglementation libérale du droit suisse concernant l’échange de titres lors d’offres publiques obligatoires. Ce concentrant sur les spécificités du cas, elle a considéré que l’offre d’échange suivie d’un reverse merger n’offrait pas un véritable droit de sortie, puisqu’en fin de compte, AEM se retrouverait actionnaire d’Atel peu après l’exécution de l’offre. Cette décision n’a dès lors qu’une portée limitée. Certes, la Commission fédérale des banques a reconnu que l’offre publique obligatoire visait à donner aux actionnaires minoritaires un droit de sortie en cas de changement de contrôle. En revanche, elle n’a condamné l’offre d’échange qu’en raison des particularités du cas d’espèce sans remettre en cause le système, refusant ainsi de reconnaître aux minoritaires un droit à une contreprestation liquide.