Aller au contenu principal

Le Tribunal fédéral précise l’obligation de diligence de la banque émettrice

Dans cet arrêt (4A_488/2008), rendu le 15 janvier 2009, le Tribunal fédéral était amené à juger, si la banque émettrice d’une lettre de crédit documentaire stand by avait violé son devoir de diligence, en procédant au remboursement de la banque confirmatrice suite au tirage du crédit par le bénéficiaire. Dans le cas présent, la lettre de crédit garantissait à l’égard du maître d’ouvrage (bénéficiaire) la bonne exécution d’un contrat d’entreprise par l’entrepreneur pour la réalisation d’un complexe d’élevage de poissons en Libye.
Elle était payable à première demande du bénéficiaire, par débit du compte bancaire de son donneur d’ordre, non transférable et soumise aux Règles et usages uniformes relatives aux crédits documentaire ICC (RUU 500). A teneur de la lettre de crédit, il suffisait que le bénéficiaire demande par écrit le paiement à la banque confirmatrice, en spécifiant que l’entrepreneur n’avait pas rempli ses obligations découlant du contrat d’entreprise.
La lettre de crédit comprenait en plus une clause de remboursement au bénéfice de la banque confirmatrice. A teneur de celle-ci la banque émettrice était tenue de verser à la banque confirmatrice le montant prévu, à réception d’un télex ou d’un Swift authentifié dans lequel celle-ci l’informait que le bénéficiaire avait demandé l’appel au crédit conformément à la lettre de crédit et qu’elle avait envoyé le document constituant cette demande à la banque émettrice.
En garantie de la lettre de crédit fut également conclu un contrat de nantissement entre la banque émettrice et l’ayant droit économique du donneur d’ordre, grevant ses avoirs bancaires personnels auprès de celle-ci. Au cas où le compte du donneur d’ordre présenterait un solde débiteur suite au remboursement de la banque confirmatrice, la banque émettrice pouvait réaliser sans avertissement les avoirs nantis afin de compenser le montant débiteur du compte du donneur d’ordre. La banque savait que le constituant était l’ayant droit du donneur d’ordre ainsi que celui-ci s’occupait personnellement du dossier de la lettre de crédit.
Les conditions générales de la banque émettrice, acceptées par le donneur d’ordre de la lettre de crédit ainsi que par le constituant du nantissement, prévoyaient que les communications faites par la banque, qui n’avaient fait l’objet d’une réclamation écrite dans le mois suivant leur envoi, étaient réputées approuvées par le client.
Peu après la constitution de la lettre de crédit, le bénéficiaire fut dissout par le gouvernement libyen. L’entrepreneur en informa sitôt la banque émettrice, en lui interdisant de procéder à un versement quelconque sur la base de la sûreté. Or lorsque la banque confirmatrice communiqua à la banque émettrice la demande d’appel au crédit par un nouveau bénéficiaire, spécifiant que celui-ci avait succédé de plein droit au bénéficiaire initial et que « le document en question suivra », la banque émettrice procéda au versement de la somme prévue par débit du compte du donneur d’ordre.
Le compte du donneur d’ordre présentant un solde négatif, la banque émettrice réalisa également les avoirs nantis du compte du constituant. Ce dernier contesta la régularité du versement et de la réalisation des avoirs par réclamation écrite. Il fit valoir que les conditions d’appel au crédit n’étaient pas réunies et réclama le remboursement. La banque lui objecta que le donneur d’ordre avait ratifié tacitement le versement, faute d’avoir contesté personnellement en qualité du titulaire du compte bancaire, conformément aux conditions générales. Il s’ensuivait, selon la banque, que la réalisation du gage était également permise, vu que le contrat de nantissement lui permettait de compenser toute dette du donneur d’ordre découlant de la sûreté avec les avoirs nantis du constituant.
Le TF rappelle sa jurisprudence constante admettant la validité d’une clause de ratification tacite pour les opérations bancaires effectuées sans instruction. Il considère toutefois que la banque ne pouvait dans le cas présent pas se prévaloir de bonne foi de la ratification tacite de l’opération par le donneur d’ordre, bien que celui-ci eût omis de réclamer personnellement contre le versement. En réclamant à titre personnel, mais toutefois en qualité d’ayant droit économique du donneur d’ordre, le constituant avait valablement objecté l’opération au nom du donneur d’ordre. Ceci découle notamment du fait que la banque était en l’occurrence parfaitement au courant que le constituant était l’ayant droit économique du donneur d’ordre et qu’il s’occupait personnellement du dossier concernant la lettre de crédit
La banque poursuit que les parties, en insérant une clause de remboursement dans la lettre de crédit, auraient exclu l’application du mécanisme des RUU 500, prévoyant notamment un nouvel examen de la conformité des documents par la banque émettrice. Dès lors, la sûreté de la banque émettrice s’apparentait en réalité à une contre-garantie au bénéfice de la banque confirmatrice, payable à première demande et non pas à un crédit documentaire soumis au principe de la rigueur documentaire. Elle soutient que, en conséquence, elle ne devait pas tenir compte de la dissolution du bénéficiaire, ni du moment de l’envoi du document de la demande à la banque émettrice.
Le TF confirme en premier lieu la relation de mandat, non seulement entre le donneur d’ordre et la banque émettrice, mais également entre celle-ci et le constituant du gage. Il revient ensuite sur la nature hybride de la lettre de crédit stand by, contenant notamment à la fois des caractéristiques du crédit documentaire ainsi que de la garantie bancaire. Les RUU 500, quant à elles, instaurent le principe de la rigueur documentaire. Ce dernier crée également pour la banque émettrice l’obligation de contrôler avec toute la diligence due la conformité formelle des documents présentés avec les conditions de la lettre de crédit stand by. C’est dès lors au regard de la clause de remboursement, énonçant les conditions minimales pour le remboursement, qu’il sied d’apprécier, si la banque émettrice avait violé ses obligations de mandataire envers le constituant.
In casu, les conditions énumérées dans la clause n’étaient pas réunies pour le versement, puisque la banque confirmatrice n’avait pas communiqué à la banque émettrice qu’elle lui avait déjà envoyé le document contenant la demande du bénéficiaire. Elle lui avait seulement confirmé que « le document en question suivra ». En ne tenant pas compte du moment de l’envoi, la banque a ainsi transgressé au principe de la rigueur documentaire.
De toute manière la banque émettrice a, selon le TF, également transgressé le principe de la rigueur documentaire, en honorant une demande d’appel au crédit adressée par une entité n’ayant pas qualité de bénéficiaire. Elle a donc manqué à ses devoirs de mandataire diligent (art. 398 al. 2 CO), avec la conséquence, qu’elle se voit privée du remboursement des impenses supportées en accomplissant le mandat (Art. 402 al. 1 CO). Elle a été condamnée à rembourser les avoirs nantis réalisés sur le compte du constituant plus intérêts.