Action en reddition de comptes dans un contexte successoral
Questions de for et de fond
Philipp Fischer
Le Tribunal fédéral a rendu en date du 29 juillet 2009 un important arrêt (cause nº 4A_249/2009) qui apporte certaines clarifications s’agissant du for d’une action en reddition de comptes déposée dans un contexte successoral. Cette jurisprudence confirme et précise un arrêt du Tribunal fédéral du 18 décembre 2008, publié aux ATF 135 III 185.
Ces deux arrêts ont pour toile de fond le cas classique d’héritiers, domiciliés hors de Suisse, qui entendent obtenir des informations sur les avoirs que le de cujus détenait, directement ou indirectement, auprès d’établissements bancaires sis en Suisse. Dans une telle situation internationale, le for est en principe déterminé par la Loi fédérale sur le droit international privé (« LDIP »). L’article 1 al. 2 LDIP réserve toutefois l’application de traités internationaux, tels que la Convention du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Lugano, « CLug »). Lorsque le de cujus était domicilié à l’étranger lors de son décès, la LDIP, sous réserve de cas exceptionnels (articles 87 et 88 LDIP), ne prévoit pas de for en Suisse pour les actions successorales. En revanche, un héritier cherchant à obtenir des informations d’une banque suisse pourrait être tenté d’invoquer la compétence générale au for du défendeur prévue par l’article 2 al. 1 CLug. L’article 1 al. 2 ch. 1 CLug précise toutefois que cette convention ne s’applique pas aux « testaments et [aux] successions ». L’existence d’un for en Suisse dépend donc de la question de savoir si l’action en reddition de comptes intentée par les héritiers est de nature successorale ou contractuelle.
Dans les deux jurisprudences précitées, le Tribunal fédéral a jugé qu’en intentant une action en reddition de comptes, l’héritier ne fait qu’exercer un droit à l’information dont le de cujus pouvait se prévaloir à l’égard de sa banque. Lors du décès, cette prétention contractuelle est transférée aux héritiers par la voie de la succession universelle prévue à l’article 560 du Code Civil (« CC »). Il s’en suit que l’action en reddition de comptes intentée par un héritier est de nature contractuelle, et non pas successorale. L’héritier requérant peut donc se prévaloir de la compétence au for du défendeur (soit de la banque) conformément à l’article 2 al. 1 CLug combiné avec l’article 112 al. 1 LDIP. Le cas échéant, l’article 17 CLug reconnaît également la validité d’une clause d’élection de for prévue par hypothèse dans les conditions générales de la banque. Le Tribunal fédéral prend soin de préciser que les règles de for prévues dans la CLug s’appliquent également aux demandes d’informations portant sur des avoirs dont le de cujus n’était qu’ayant-droit économique, nonobstant le fait que, dans un tel cas de figure, le de cujus n’entretenait précisément pas de relation contractuelle directe avec la banque.
A titre de bref excursus, il n’est sans doute pas inutile de rappeler la teneur des informations dont les héritiers peuvent demander la communication à la banque. Les principes généraux suivants peuvent être dégagés d’une jurisprudence encore fluctuante :
(i) Tout héritier a le droit d’obtenir d’un tiers dépositaire des renseignements sur les avoirs du de cujus au jour du décès.
(ii) Tout héritier a également le droit d’obtenir des informations sur les transactions antérieures au décès à condition de rendre vraisemblable que ces renseignements sont nécessaires à la sauvegarde de ses intérêts, notamment en vue d’exercer une action en réduction au sens des articles 522 et suivants CC.
(iii) Seuls les héritiers réservataires peuvent réclamer des informations quant aux avoirs dont le de cujus était l’ayant-droit économique. Selon la jurisprudence de la Cour de justice genevoise, un héritier réservataire est légitimé à obtenir de telles informations, s’il rend hautement vraisemblable (A) une lésion de sa réserve, (B) l’existence d’un patrimoine dissimulé grâce au recours à une structure de détention patrimoniale et (C) que le détenteur des informations (soit la banque) a connaissance de la structure mise en place par le de cujus (soit, en pratique, l’existence d’une relation de type fiduciaire entre le titulaire du compte et le de cujus).
Si ces conditions sont réalisées, l’héritier réservataire peut réclamer les informations suivantes :
a. toutes les informations permettant de reconstituer le patrimoine du de cujus au jour du décès, y compris les relevés du compte concerné durant les dix dernières années précédant le dépôt de la requête.
b. l’identité de toute personne physique ou entité juridique qui a bénéficié de versements en provenance du compte concerné durant les dix dernières années précédant le dépôt de la requête.