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Droit à l’information des héritiers

Variation sur un thème connu

En date du 26 juillet 2010, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt (arrêt 4A_421/2009, proposé à la publication) dans le cadre d’une affaire opposant une banque à une héritière désireuse d’obtenir des informations sur les avoirs détenus par le de cujus. Cette jurisprudence marque une nouvelle étape dans une longue série d’arrêts traitant des demandes de renseignements dirigées par des héritiers contre des établissements bancaires suisses afin d’obtenir des informations permettant de circonscrire le périmètre de la masse successorale
A de nombreuses reprises le Tribunal fédéral a jugé que chaque héritier dispose d’un droit individuel à obtenir des renseignements sur les avoirs dont le de cujus était le titulaire direct. L’héritier peut exercer contre la banque une action en reddition de comptes, basée sur le droit à l’information (découlant généralement de l’art. 400 CO) dont le de cujus pouvait se prévaloir et qui est transféré aux héritiers par voie de succession universelle (article 560 CC). Le débat judiciaire s’est déplacé durant ces dernières années sur le terrain, plus délicat, de l’accès à des informations relatives aux avoirs dont le de cujus était l’ayant droit économique (cf. sur le même sujet l’Actualité n° 650). Cette question revêt naturellement une importance particulière lorsqu’avant son décès, le de cujus a transféré une partie de ses avoirs à un véhicule de détention patrimoniale.
La jurisprudence présentée ici porte sur le cas d’une veuve cherchant à obtenir d’une banque suisse des informations sur les avoirs dont feu son mari, un ressortissant italien domicilié en Suisse, était l’ayant droit économique.
Le Tribunal fédéral constate qu’une telle demande de renseignements ne peut se fonder sur le droit suisse des contrats. Le de cujus ne disposait d’aucun droit contractuel à l’information à l’encontre de la banque s’agissant des avoirs dont le de cujus était l’ayant droit économique. Or, les droits transférés aux héritiers dans le cadre de la succession ne sauraient excéder ceux dont bénéficiait le de cujus avant son décès. Il s’en suit que la veuve ne saurait s’appuyer sur l’article 400 CO pour obtenir des renseignements sur lesdits avoirs.
La particularité du cas d’espèce réside dans l’invocation, par l’héritière, d’un droit à l’information ancré dans le droit successoral italien. La demanderesse soutient en effet que les avoirs détenus par l’intermédiaire de véhicules de détention patrimoniale feraient partie de la masse successorale en vertu du droit italien et que cet ordre juridique conférerait aux héritiers un droit à l’information sur ces avoirs.
En l’espèce, le droit applicable à la succession est régi par l’article 17 al. 3 de la Convention d’établissement et consulaire conclue entre la Suisse et l’Italie en date du 22 juillet 1868 (la « Convention« ), dont la teneur est la suivante : « Les contestations qui pourraient s’élever entre les héritiers d’un Italien mort en Suisse, au sujet de sa succession, seront portées devant le juge du dernier domicile que l’Italien avait en Italie. » De longue date le Tribunal fédéral a prôné une interprétation large de cette disposition, compte tenu de son ancrage dans un traité « ultra-centenario« , selon les termes de l’arrêt présenté ici. Par le passé, le Tribunal fédéral a déjà considéré que l’article 17 al. 3 de la Convention (A) s’applique à tout litige en rapport avec la masse successorale d’un ressortissant italien domicilié en Suisse (alors que le texte de la disposition semble limiter sa portée aux seuls litiges entre héritiers), (B) que cette disposition n’empêche pas les parties de convenir d’un autre for et (C) qu’elle régit également le droit applicable, italien en l’espèce. Dans la jurisprudence présentée ici, le Tribunal fédéral franchit un pas supplémentaire en jugeant que cette disposition n’a pas pour vocation d’empêcher le de cujus de choisir le droit applicable à la succession. En l’espèce, les dispositions testamentaires contenaient apparemment des indices d’une professio juris en faveur du droit suisse. Le Tribunal fédéral se voit toutefois contraint de renvoyer la cause à l’instance cantonale pour éclaircir la volonté du de cujus, puis déterminer le droit applicable à la succession et, enfin, définir la portée du droit à l’information dont la demanderesse entend se prévaloir.
Cette jurisprudence rappelle que le droit à l’information des héritiers peut avoir un fondement contractuel ou successoral. Dans la deuxième hypothèse, l’application d’un droit successoral étranger, accordant par hypothèse des droits supplémentaires à l’héritier, pourrait permettre de contourner les obstacles que le droit suisse dresse sur la route de l’héritier désireux d’obtenir des informations au sujet d’avoirs dont le de cujus n’était pas titulaire, mais simple ayant droit économique.