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Initiative Minder

Avant-projet d'ordonnance contre les rémunérations abusives

Le Département fédéral de justice et de police (DFJP) a ouvert une procédure de consultation relative à l’avant-projet d’ordonnance destinée à mettre en œuvre le nouvel art. 95 al. 3 Cst (voir à ce sujet commentaire n° 870 du 20 mars 2013). Cette ordonnance devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2014 et le restera jusqu’à ce que le Parlement transpose le nouvel article 95 al. 3 Cst. au niveau légal. Dans les grandes lignes, l’avant-projet s’articule autour du droit de la SA (sections 2 à 9 AP-ORAb), de l’obligation de vote des institutions de prévoyance professionnelle (section 10 AP-ORAb) et des dispositions pénales (section 11 AP-ORAb), que nous n’examinerons pas en détail.

Sur la question centrale du vote sur les rémunérations, l’avant-projet propose un régime en deux temps : l’assemblée générale sera appelée à approuver à l’avance la part fixe de la rémunération jusqu’à l’assemblée générale ordinaire suivante et de façon rétrospective la rémunération de l’exercice écoulé. Si la rémunération devait être refusée par l’assemblée, le conseil d’administration pourrait soumettre une nouvelle proposition à l’assemblée générale. Si celle-ci n’est pas approuvée par les actionnaires, le conseil d’administration sera tenu de convoquer une nouvelle assemblée générale dans les trois mois. Ce régime n’est toutefois pas impératif : les statuts pourront mettre en place un autre régime, c’est-à-dire que l’assemblée devra se prononcer sur la question annuellement et de façon contraignante en votant séparément sur les montants globaux octroyés au conseil d’administration, à la direction et au conseil consultatif. Il sera ainsi possible, par exemple, de faire approuver une enveloppe couvrant la part fixe et variable de la rémunération, pour autant que les exigences de l’art. 95 al. 3 Cst. soient respectées. Par ailleurs, l’avant-projet contient une interdiction des indemnités de départ, des indemnités anticipées et des provisions pour le transfert ou la reprise de la totalité ou d’un partie d’une entreprise, sans pour autant reprendre la notion “d’autres indemnités” qui, selon le Conseil fédéral, serait une notion imprécise et sujette à interprétation.

En accord avec l’initiative, l’avant-projet envisage de garantir la transparence par une obligation de régler dans les statuts notamment la durée des contrats de travail, les principes de l’octroi de la rémunération et des plans d’intéressement ainsi que le montant des prêts et des rentes octroyés aux administrateurs et dirigeants sociaux. La transparence devrait également être assurée par un rapport de rémunération qui reprendrait pour l’essentiel les informations figurant actuellement dans l’annexe au bilan conformément à l’art. 663b bis CO, mais qui fera l’objet d’un vote séparé.

Sur la question de la gouvernance, l’avant-projet prévoit une élection par l’assemblée générale du président du conseil d’administration et, sur une base individuelle, des autres membres du conseil d’administration et du comité de rémunération, dont les attributions devront être définies par les statuts. A ce catalogue, l’ordonnance ajoute encore l’élection d’un éventuel suppléant du président, qui n’était toutefois pas requis par l’art. 95 al. 3 Cst. L’assemblée générale sera également compétente pour élire le représentant indépendant. Ce dernier sera d’ailleurs la seule forme de représentation institutionnelle des actionnaires, la représentation par un organe ou un dépositaire étant interdite. L’exigence du vote électronique a été interprétée afin que seul le vote indirect soit impératif : les actionnaires devront avoir la possibilité de confier des pouvoirs et de donner des instructions au représentant indépendant par voie électronique. En revanche, l’avant-projet n’impose pas un droit de participer directement à l’assemblée générale compte tenu des risques juridiques et techniques.

Conformément à l’art. 95 al. 3 Cst., l’avant-projet d’ordonnance propose d’imposer à toutes les institutions de prévoyance au sens de la LFLP l’obligation d’exercer leurs droits de vote et de rendre des comptes à leurs bénéficiaires sur ce point. Toutefois, il prévoit une importante soupape de sécurité en permettant aux caisses de s’abstenir ou même de renoncer à exercer leurs droits de participation, à condition que ce soit dans l’intérêt des assurés. L’ordonnance ne précise toutefois pas le sens à donner à la notion  “d’intérêt des assurés”.

L’ordonnance sera mise en œuvre progressivement entre le 1er janvier 2014 et la fin 2016 : les interdictions vaudront dès le 1er janvier 2014 mais les sociétés disposeront d’une année pour adapter les contrats avec les organes. Lors de l’assemblée générale 2014, les actionnaires seront appelés à se prononcer sur le rapport de rémunération et à élire individuellement les membres du conseil d’administration, du comité de rémunération ainsi que le représentant indépendant. L’obligation de vote des institutions de prévoyance ne s’appliquera pour sa part que dès 2015. C’est d’ailleurs à partir de cette année-là que les règles sur l’octroi d’instructions par voie électronique et les règles sur la rémunération s’appliqueront. Enfin, dans la mesure où l’Ordonnance envisage un délai de deux ans pour adapter les statuts et les règlements, les assemblées générales ordinaires 2015 seront probablement amenées à se prononcer également sur ce point.

Dans l’ensemble, l’avant-projet met fidèlement en œuvre l’art. 95 al. 3 Cst. tout en essayant de prendre en compte, dans la mesure du possible, les impératifs pratiques liés au fonctionnement des sociétés cotées et des institutions de prévoyance. Pour le surplus, elle n’apporte guère d’innovation, ce qui n’est pas surprenant compte tenu des limites du mandat conféré au Conseil fédéral par la Constitution. Reste à voir quel accueil lui sera réservé lors de la procédure de consultation et quelle approche sera retenue dans la loi formelle destinée à prendre le relai.