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Rétrocessions

Quelle restitution lors d’investissements dans un fonds de fonds ?

Le Tribunal fédéral, dans son arrêt 4A_350/2023 du 21 novembre 2023, confirme un jugement partiel du Handelsgericht de Zurich (HG190111-O), condamnant un gestionnaire à rendre compte à une fondation de prévoyance LPP des rétrocessions perçues en lien avec des investissements dans des fonds cibles par le biais de deux fonds de fonds.

Ce commentaire se concentre sur la question du droit à l’information de la fondation concernant les rétrocessions perçues par le gestionnaire (pour la description de l’état de fait et la problématique de l’approbation éclairée de l’investissement dans les fonds de fonds, cf. Hirsch, cdbf.ch/1326 ainsi que le schéma récapitulatif de l’état de fait).

Notre Haute cour précise en premier lieu que la demande en reddition de compte ne peut être admise que s’il existe une demande en paiement correspondante. Il est donc nécessaire de clarifier au préalable l’existence d’un droit à la restitution des rétrocessions, car en l’absence de ce droit, aucun droit à l’information ne peut être exercé.

Le gestionnaire soutient que les rétrocessions sur lesquelles elle devrait fournir des informations relèvent de l’art. 21 al. 2 LPCC. En vertu de la primauté de la LPCC sur l’art. 400 CO, la fondation n’aurait pas le droit à la restitution des rétrocessions. Par conséquent, la demande en paiement principale ferait défaut.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 21 al. 2 LPCC énonce que les personnes qui administrent, gardent ou représentent des placements collectifs de capitaux ainsi que leurs mandataires ne peuvent recevoir que les rétributions prévues dans les documents et que les rétrocessions doivent être créditées au placement collectif. Ainsi, les rétrocessions versées par les fonds cibles au gestionnaire doivent être créditées à la fortune des fonds de fonds. A cet égard, l’argument de la fondation selon lequel elle ne réclame pas les montants que le gestionnaire a versés aux deux fonds de fonds, mais seulement ceux qui n’ont pas été versés ou qui n’ont pas été versés intégralement aux fonds de fonds, n’est pas valable. Par conséquent, la fondation n’a pas de droit à l’information en vertu du contrat de gestion de fortune la liant au gestionnaire. En revanche, le fonds de fonds ou la direction du fonds aurait un droit à l’information sur ces rétrocessions en vertu du contrat de gestion de fortune conclu entre eux et le gestionnaire.

Le Tribunal ne s’arrête pas là et poursuit en retenant que si le gestionnaire avait investi directement dans les fonds cibles conformément à ses obligations, la fondation aurait droit à l’information et à la restitution des rétrocessions en vertu du contrat de gestion de fortune entre les parties. Le fait que la fondation ne dispose pas d’un droit à l’information résulte uniquement du non-respect par le gestionnaire de ses obligations. Les éventuelles rétrocessions des fonds cibles non versées aux fonds de fonds constituent donc un élément du dommage résultant du comportement contraire aux obligations du gestionnaire, pour lequel il pourrait être tenu de verser des dommages-intérêts en vertu du contrat de gestion de fortune entre les parties (art. 398 cum 97 CO). En conclusion, il convient d’accorder à la fondation un droit à la reddition de compte sur les rétrocessions reçues par le gestionnaire de la part des fonds cibles ainsi que sur les montants de ces rétrocessions qui auraient été retransférées aux fonds de fonds.

Remarquablement, le Tribunal fédéral juge dans cette affaire que le client lésé par une couche de structuration inutile des investissements – par le biais de fonds de fonds sans intérêt autre que d’augmenter les revenus du gérant – a droit non pas à la restitution des rétrocessions, mais à des dommages-intérêts en vertu de l’art. 97 CO. Le client s’est limité dans son argumentation à ne prétendre à la restitution que des rétrocessions versées par les fonds cibles au gestionnaire qui n’auraient pas été retransférées aux fonds de fonds. Selon nous, la fondation peut encore, dans son action échelonnée et non chiffrée, réclamer sur la base de l’art. 97 CO la totalité des rétrocessions vu que le dommage est défini par le Handelsgericht comme la différence entre l’investissement dans les fonds de fonds comparé à un investissement directement dans les fonds cibles et que dans cette hypothèse la fondation aurait eu droit à la restitution de l’intégralité des rétrocessions.

A notre avis, cette décision pourrait être annonciatrice d’une jurisprudence fédérale jugeant que les rétrocessions dans un rapport execution only constituent un dommage résultant de la violation du contrat d’exécution des ordres au meilleur prix (best execution). En effet, le gestionnaire a également été condamné à verser des dommages et intérêts pour avoir acheté des tranches trop chères des fonds cibles (pour client retail au lieu de client institutionnel) ce qui lui a permis de percevoir des rétrocessions plus élevées. Une rétrocession pouvant être définie comme une partie de la commission payée au fond qui est reversée au gestionnaire, elle augmente le prix payé par le client. Seule l’avenir nous dira la position du Tribunal fédéral en matière de restitution des rétrocessions en cas de relation execution-only. En attendant, l’incertitude persiste avec des décisions cantonales contradictoires, même au sein du Tribunal de première instance de Genève (cf. p. ex. JTPI/10949/2023 vs JTPI/1076/2024).