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Clause de réclamation

L’existence d’une instruction du client peut rester indécise en banque restante

Un récent arrêt genevois illustre les effets d’une convention de banque restante associée à une clause de réclamation lorsque l’existence d’une instruction du client est contestée par les parties dans une relation de conseil en placement ponctuel (arrêt ACJC/231/2024 de la Chambre civile de la Cour de justice genevoise du 13 février 2024).

En 2003, une société sise aux Îles Vierges britanniques ouvre une relation auprès d’une banque suisse. Les conditions générales de la banque remises à la cliente contiennent une clause de réclamation selon laquelle la contestation des relevés de compte et de dépôt doit se faire dès réception de l’avis correspondant, mais au plus tard dans le délai fixé par la banque. La documentation d’ouverture prévoit également que la correspondance doit être conservée en banque restante et que, sauf indication contraire, la date indiquée sur le document bancaire doit être considérée comme celle de réception par la cliente.

La banque acquiert, en mai 2008, pour le compte de la cliente des obligations émises par une société hongkongaise active dans l’industrie de l’aluminium, lesquelles figurent sur des relevés de fortune adressés en banque restante avec la mention que toute anomalie doit être contestée dans un délai de quatre semaines. La société hongkongaise est liquidée en juillet 2009 suite à la crise financière, ce qui provoque une perte importante pour la cliente.

Le Tribunal de première instance déboute la cliente de sa demande en paiement. Celle-ci dépose un appel en invoquant notamment que la banque aurait procédé à l’investissement litigieux sans son consentement.

La Cour procède, dans un premier temps, à l’interprétation des manifestations de volonté des parties pour qualifier la relation contractuelle. Le contrat de conseil en placement « durable » est écarté en raison du profil sophistiqué des représentants de la cliente et faute de propositions régulières d’investissement ou encore de relation étroite entre les parties. Dès lors, les parties sont liées par un contrat de dépôt accompagné de contrats de conseil en placement « ponctuels » lorsque la banque fournit des conseils. S’agissant de l’investissement litigieux, la Cour retient que la banque l’aurait recommandé à la cliente en raison du fait qu’il est surprenant qu’un titre aussi « exotique d’aluminium chinois » soit détenu par quelques autres clients de la banque.

Après avoir rappelé la validité et les effets des fictions de réception et de ratification en banque restante développés par la jurisprudence du Tribunal fédéral (cf. Hirsch, cdbf.ch/1028 ; Hirsch, cdbf.ch/1051), la Cour arrive à la conclusion que l’existence, ou non, d’une instruction de la cliente quant à l’investissement litigieux n’est en l’espèce pas déterminante pour les raisons suivantes :

  • Soit la cliente a donné son accord à l’investissement litigieux suite à un conseil de la banque et dans ce cas une responsabilité de la banque peut entrer en considération en cas de violation de ses obligations contractuelles en lien avec le conseil donné. En l’espèce, selon la Cour, la banque a respecté son obligation d’information et de diligence, la cliente disposait des connaissances suffisantes pour comprendre le conseil et celui-ci s’inscrivait dans le profil de risque convenu. Cette argumentation est en partie discutable dans la mesure où la conformité de l’investissement avec le profil de risque n’était pourtant pas évidente selon le rapport d’expertise judiciaire qui a considéré qu’il s’agissait d’un titre spéculatif et qu’une telle position n’était pas une bonne diversification dans le contexte d’un portefeuille avec une tolérance au risque faible.
  • Soit, en l’absence d’accord, la cliente aurait ratifié a posteriori l’investissement litigieux. Dans ce cas, la cliente a effectivement consulté les relevés de fortune faisant état de l’investissement et disposait des connaissances nécessaires pour comprendre ce type d’opération, mais ne l’a pas contesté dans le délai de quatre semaines conformément à la clause de réclamation. Par conséquent, indépendamment de l’existence d’un accord de la cliente à l’exécution de l’investissement litigieux, la responsabilité de la banque doit être niée. Ce raisonnement est convaincant en tant qu’il sanctionne le client qui attend que les pertes se réalisent pour contester l’opération. Il s’inscrit par ailleurs dans le prolongement de la jurisprudence civile rendue en la matière selon laquelle la fiction de ratification découlant de la clause de réclamation trouve pleinement application lorsque l’existence d’une instruction est contestée et/ou non prouvée (cf. Hirsch, cdbf.ch/1178 ; Fischer, cdbf.ch/984).

L’arrêt commenté est intéressant à deux égards. D’une part, il rappelle l’application stricte de la clause de réclamation et de sa fiction de ratification en banque restante. D’autre part, il résulte de cet arrêt que la classification des services financiers sur le plan civil diffère de celle prévue sur le plan réglementaire depuis l’entrée en vigueur de la LSFin le 1er janvier 2020. En effet, la Cour analyse si l’investissement s’inscrit dans le profil de risque de la cliente pour apprécier la bonne exécution du conseil en placement ponctuel. Cela équivaut à une vérification de l’adéquation du service. Or, sur le plan règlementaire, une telle vérification n’est requise qu’en présence de services de conseil en placement tenant compte de l’ensemble du portefeuille ou de gestion de fortune (art. 12 LSFin). Ainsi, en droit civil, la qualification du contrat de conseil en placement (« ponctuel » ou « durable ») ne suit pas forcément celle prévue par la LSFin (« conseil en placement isolé sans prendre en compte l’ensemble du portefeuille » ou « conseil en placement tenant compte de l’ensemble du portefeuille »). En particulier, la notion de conseil en placement « ponctuel » développée par les tribunaux civils ne correspond pas à celle de conseil en placement « isolé » selon l’art. 11 LSFin. Il sera intéressant de suivre si la jurisprudence civile sera influencée par la classification adoptée sur le plan réglementaire pour apprécier la bonne exécution des obligations contractuelles des prestataires de services financiers. Une uniformisation de la classification en faveur de celle prévue par la LSFin serait préférable pour permettre aux prestataires de services financiers de contrôler leur risque juridique.