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Contrats bancaires

Une reddition de compte incomplète ?

Quels renseignements relatifs à un mandat de gestion de fortune doivent être transmis aux clients en application de l’art. 400 CO ? Sur recours d’une cliente insatisfaite de la documentation reçue de sa banque, le Tribunal fédéral condamne la banque à la remise d’informations supplémentaires (4A_353/2019 du 25 mars 2020).

En 1999, une cliente ouvre un compte bancaire et confie à la banque un mandat de gestion de fortune avec une orientation « défensive ». Elle autorise néanmoins sa banque à investir jusqu’à 20 % de ses avoirs dans des placements collectifs non traditionnels. La cliente clôt son compte en 2009.

En 2013, elle reproche à la banque de lui avoir causé un dommage de CHF 500’000.- dans l’exercice de son mandat de gestion. Elle dépose ensuite une action en paiement contre la banque et prend également des conclusions en reddition de compte (art. 400 CO). Selon la cliente, la banque devrait lui fournir divers documents concernant l’exécution du mandat, notamment le courrier conservé « banque restante » ainsi que les extraits de compte relatifs aux opérations d’investissement effectuées. Elle dispose néanmoins déjà de quelques relevés indiquant l’état de ses avoirs à des moments précis.

Le Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers rend un jugement dans lequel il admet partiellement les conclusions tendant à la production de documents. Il condamne ainsi la banque à remettre à la cliente notamment les extraits de compte relatifs aux opérations d’investissement effectuées depuis l’ouverture du compte ainsi que le courrier des deux années précédant la clôture du compte, sous menace de la peine d’amende prévue par l’art. 292 CP.

Sur appel de la banque, le Tribunal cantonal de Neuchâtel contredit le Tribunal régional et considère que la cliente dispose déjà des documents pertinents lui permettant de comprendre les opérations effectuées. Il appartiendrait à la partie qui invoque l’art. 400 CO d’exposer clairement les raisons pour lesquelles les pièces demandées seraient pertinentes pour contrôler les activités du mandataire. En l’espèce, la cliente n’aurait pas exposé ces raisons. En outre, les conclusions de la cliente seraient insuffisamment précises pour faire l’objet d’une exécution. Partant, le Tribunal cantonal admet l’appel de la banque et déboute la cliente de ses conclusions en reddition de compte.

L’art. 400 al. 1 CO prévoit que « le mandataire est tenu, à la demande du mandant, de lui rendre en tout temps compte de sa gestion et de lui restituer tout ce qu’il a reçu de ce chef, à quelque titre que ce soit ». Selon la jurisprudence récente, les renseignements doivent mettre le mandant en mesure de réclamer ce que le mandataire doit lui restituer, et, s’il y a lieu, de lui réclamer aussi des dommages-intérêts (ATF 144 IV 294 commenté in Philipp Fischer, cdbf.ch/1030/ ; ATF 141 III 564 commenté in Nicolas Ollivier, cdbf.ch/938/). Le Tribunal fédéral précise que les renseignements relatifs à un mandat de gestion de fortune doivent au minimum révéler quelles valeurs ont été achetées puis revendues pour le compte du client, à quelles dates et à quels prix.

En l’espèce, le Tribunal fédéral relève d’emblée que le Tribunal cantonal a omis d’examiner si, en remettant des extraits du portefeuille à la cliente, la banque avait entièrement rempli son obligation de rendre compte. Or le Tribunal fédéral souligne que les documents remis sont « peu volumineux » et qu’ils ne permettent pas de connaître les opérations effectuées entre deux extraits du portefeuille successifs.

Dans une deuxième ligne de défense, la banque prétend que l’action de la cliente en reddition de compte ne répondrait à aucun intérêt. Le Tribunal fédéral réfute cet argument. Non seulement le mandant est autorisé à exercer cette action sans avoir à justifier d’un intérêt légitime, mais en plus il peut demander des renseignements portant sur toute la durée du mandat. Une telle demande n’est pas contraire aux règles de la bonne foi.

Enfin, le Tribunal fédéral admet que les conclusions de la cliente manquent de précision. Néanmoins, cela ne justifie pas un rejet intégral de l’action. Il suffit de limiter l’admission de la demande à l’information nécessaire à la cliente pour reconstituer et contrôler la gestion de la banque.

Partant, le Tribunal fédéral condamne la banque à fournir à la cliente la liste des achats et des ventes de valeurs mobilières et de devises étrangères accomplis en exécution du mandat, avec la date et le prix de chaque achat et de chaque vente, ainsi que son courrier conservé « banque restante » pour les deux années précédant la clôture du compte.

Afin d’obtenir les documents convoités, la cliente aurait aussi pu invoquer l’art. 8 LPD (cf. Philipp Fischer, cdbf.ch/821/) et peut désormais également invoquer l’art. 72  LSFin. Grâce à cette norme, le client dispose d’une prétention à l’encontre du prestataire de services financiers en la remise d’une copie de son dossier ainsi que de tout autre document le concernant, même antérieur à 2020 selon nous. Ce dossier devrait a priori contenir les documents que le prestataire de services financiers doit établir conformément aux art. 15 et 16 LSFin et 19 OSFin.

Le praticien qui désire invoquer ces diverses bases légales devra néanmoins être bien attentif aux diverses procédures applicables. Alors que la procédure simplifiée s’applique lors d’une demande fondée sur l’art. 8 LPD, la procédure ordinaire, voire sommaire lors de cas clairs, s’applique en principe pour une action fondée sur l’art. 400 CO ou sur l’art. 72 LSFin. Or un concours de ces prétentions peut constituer un cumul d’actions prohibé par l’art. 90 CPC. Un client d’une grande banque suisse, désirant obtenir des renseignements sur l’origine de l’acquisition par le fisc français de ses données bancaires (cf. Fabien Liégeois, cdbf.ch/1098/), l’a récemment appris à ses dépens. La Cour de justice du canton de Genève a ainsi déclaré irrecevable sa demande intitulée « requête en droit d’accès (art. 8 et 15 LPD) et/ou en reddition de compte (art. 400 al. 1 CO) » en raison d’un cumul d’actions prohibé par la loi (ACJC/1223/2019).